Chronique

Steve Beresford & Matt Wilson

Snodland

Steve Beresford (p), Matt Wilson (dms)

Label / Distribution : Nato

Steve Beresford fait partie des Anglais qui ont durablement marqué l’histoire de nato. Des albums collectifs qui en ont façonné l’image jusqu’au très pénétrant Deadly Weapons en compagnie de John Zorn, le pianiste et poly-instrumentiste (des instruments jouets à la trompette) partage les vues de Jean Rochard, le créateur de nato. Avec Lol Coxhill et Tony Coe, autres figures tutélaires (et britanniques) de ce jeune label trentenaire, il a également partie de The Melody Four, une des formations qui en auront le plus marqué la première décennie. Ces trois comparses fomentent aujourd’hui un Retour à la Case Dunois (du nom du célèbre théâtre) : afin de fêter chacun à leur manière, trente ans après, cette belle aventure.

Le 3 octobre 2010, au lendemain de l’enregistrement de The Rock On The Hill avec un trio d’envergure autour de Lol Coxhill , Beresford invite le batteur américain Matt Wilson à visiter Snodland pour un pas de deux sur les chemins de traverse d’une lande improvisée, perdue dans une géographie intime. Comme le remarque l’excellent texte de Gérard Rouy dans les très complètes notes de pochette, l’alliance piano/batterie n’est pas des plus courantes [1]. Grâce à sa virtuosité sans démonstration, Beresford alterne une finesse mélodique témoignant de son bagage classique avec une hargne bruitiste qui conserve toute sa pureté. Quant à Wilson, sideman de luxe de tout ce qui compte aux USA [2], sa culture jazz très ouverte lui permet d’aborder tous les genres, y compris les plus radicaux. Il est ici plus percussionniste que batteur et la musicalité de ses effleurements de métal laisse une grande place au jeu sensible et contemplatif de Beresford. Le duo visite le silence avant d’imposer une masse rythmique percutée par les puissantes basses du piano, qui ensevelit sous le déluge les mélodies à peine esquissées.

Snodland, petit village du Kent, devient à lui seul, le temps d’un concert, toute une cartographie des possibles. Dès les premières épures, fragiles, au piano, la longue pièce inaugurale, « Elvington », se pare de mystère, tout en dualité. Est-ce l’alchimie immatérielle entre deux figures du jazz - un pianiste, un batteur… - fondue dans le nom d’un petit village du Yorkshire, ou la déclinaison d’une contrée imaginaire et sublimée qui se pare du paysage paisible et immuable de la campagne anglaise ? Le duo prend le temps de chercher une réponse avant de la décliner jusque dans l’Illinois natal de Wilson (« Dahinda », qui clôt l’album dans une démesure de frappe entre les touches du piano et les peaux des fûts…). « Elvington » est la lente connexion entre deux mondes, deux esthétiques différentes qui trouvent peu à peu un langage commun. Cet échange trouve sa quintessence dans « Reculver », beaucoup plus court, divagation sépulcrale qui fonde toute la poésie de l’album.

Le Snodland de Beresford est un lieu idéal qui fait communiquer le Dunois avec son passé. C’est aussi un lieu de discussion sereine entre continents et humains, ce rêve chevillé au corps de nato, annonçant le retour d’une musique qui ne nous avait jamais vraiment quittés…

par Franpi Barriaux // Publié le 21 novembre 2011

[1Steve Beresford est toutefois habitué de ce type de duo avec Han Bennink. Il existe une référence chez nato, Directly to Pyjamas, parue en 1987.

[2Disciple d’Andrew Cyrille, il joue notamment avec Myra Melford et Dewey Redman, et participe à Not in Our Name, le dernier Liberation Music Orchestra de Charlie Haden, en 2005.