Chronique

Kartet

Silky Way

Guillaume Orti (ss, as), Benoît Delbecq (p), Hubert Dupont (cb), Samuel Ber (dms)

Label / Distribution : PeeWee !

Trente ans d’existence et une ardeur toujours actuelle ! En donnant suite à Grands Laps paru en 2014, Kartet propose, avec Silky Way, un enregistrement qui s’inscrit dans le prolongement des sept productions précédentes. On retrouve les trois membres fondateurs : Guillaume Orti, Benoît Delbecq, Hubert Dupont (voir notre entretien) qui, les années passant, maintiennent le cap sur une esthétique qui n’appartient désormais qu’à eux et fait l’identité de la formation.

A partir de compositions personnelles, ils développent un son où se joue, une nouvelle fois, une articulation subtile entre l’acoustique de l’instrument et une écriture qu’on pourrait qualifier d’abstraite, à mi-chemin entre le contemporain et le jazz d’avant-garde, si l’improvisation ne venait y faire une sorte de liant vital en tonifiant un propos et lui conférant une dynamique pulsatile toujours présente. En cela, le passage au sein du quartet de quelques batteurs (Benjamin Henocq, Chander Sardjoe, Stéphane Galland) ces dernières années, tend à montrer que les trois musiciens inamovibles constituent bien les fondations du groupe mais qu’ils ne peuvent se passer d’une indispensable batterie. L’arrivée, aujourd’hui, du Belge Samuel Ber en est une preuve supplémentaire.

Avec un sens du groove contenu et une manière subtile de mener le geste juste sur chaque proposition, il renouvelle, à sa manière, le travail de la formation. Est-ce également la vertu de son âge (Samuel Ber est encore dans la vingtaine) ? Il apporte une forme de jouvence à des compagnons qui, ne poursuivant pas l’effet démonstratif, privilégient la fraîcheur des intentions. Du reste, toujours délicieusement alambiquées, les compositions dépourvues d’un déroulement traditionnel (pas d’exposition de thème, plutôt un état musical immédiat), s’acquittent, plus que de la complexité, d’un souci de clarté.

L’assemblage des propos conduits, et qui peuvent parfois emprunter des voies contradictoires, se fait en conservant un discours fort d’où le superflu est retiré. Cette épure est, d’ailleurs, l’occasion d’apprécier le timbre de chaque instrument. Le saxophone d’Orti saisit le son, de l’émission à son silence, avec une parfaite maîtrise en jouant de complicité avec le piano d’un Delbecq moins percussif, moins préparé, et attentif à colorer les interventions de son partenaire par des cellules de notes étranges qui emportent loin des traits poétiques pourtant déjà désaxés. Hubert Dupont, quant à lui, est le tenant d’une basse puissante qui charpente l’ensemble de manière oblique en posant des fondations flexibles. Tous, à leur manière, sont responsables de l’édification d’une architecture au sein de laquelle la distance élastique des uns aux autres permet l’engendrement d’une forme kaléidoscopique en mouvement.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 1er mai 2022
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