Chronique

James Brandon Lewis Quartet

Molecular

James Brandon Lewis (ts), Aruán Ortiz (p), Brad Jones (b), Chad Taylor (dms)

Label / Distribution : Intakt Records

Ce n’est pas parce qu’on avance à pas de loup, sans tirer l’attention à soi, qu’on ne fait pas forte impression. Même dans les cénacles les plus fameux du jazz, le nom de James Brandon Lewis n’a pas (encore) le retentissement qu’il devrait avoir. Ce n’est pas faute pourtant d’avoir alerté ici : de son Live à Willisau avec Chad Taylor à l’euphorique Artificial Happiness Button, tout 2020 a été éclairé de son talent ; il manquait une pièce, et la plus personnelle qui soit avec un langage propre et un quartet à sa main. C’est désormais le cas avec ce Molecular paru chez Intakt Records, qui ferait un peu plus entrer le ténor dans une autre dimension. A condition d’en créer une supplémentaire. À ses côtés, on retrouve le fidèle batteur Chad Taylor, qui offre à « Helix » une structure rythmique à la fois solide et très flexible qui permet au saxophone une puissance et une audace qui frappent à de nombreuses portes. Celles de Coltrane ou de David S. Ware en tête, mais plus sûrement la sienne propre, encadrée par deux nouveaux compagnons bâtisseurs.

Dans le quartet, on retrouve le pianiste Aruán Ortiz, habitué de Intakt Records (Inside Rythmic Falls avec Andrew Cyrille) et le contrebassiste Brad Jones qui après avoir joué avec Max Nagl a constitué avec Ortiz et Taylor une fameuse et irréfragable base rythmique (Live in Zurich, 2018, déjà chez Intakt). Autant dire que Lewis pose ici ses valises en terrain connu, solide, capable de le suivre d’instinct dans une musique qu’il rapproche lui-même d’une passion pour la biologie moléculaire ; on n’a pourtant pas la sensation, à l’écoute du flegmatique « Breaking Codes » d’une grande débauche abstraite de génie mathématique. Dans l’archet de Jones comme dans la main gauche puissante d’Ortiz, il y a au contraire une spontanéité qui n’oublie pas la sobriété, quelque chose qui s’inscrit dans une tradition forte, vigoureuse, mais qui n’entrave nullement la fraîcheur et la nouveauté d’un orchestre très complémentaire. Quelque chose qui tient de l’ADN, d’une formule chimique subtile qui accompagne un mouvement pleinement émancipé.

C’est exactement ce qui dicte toute la musique de ce disque qui fera date. Les molécules de James Brandon Lewis gardent une mémoire et une communication innée, à l’instar de ce que l’on entend dans « Helix » qui est certainement le morceau le plus emblématique de ce quartet. Basse et batterie tiennent une ligne ferme, en constant mouvement mais d’une excitante rectitude sur laquelle le piano d’Ortiz et les fulgurances du ténor viennent proposer toutes sortes de mutations. Certes, Chad Taylor s’offre au milieu du morceau un délicieux solo qui vient servir d’accélérateur de particules, mais c’est bien collectivement que ce disque se construit, dans le précipité des morceaux courts et dans la générosité de chacun. Entre la cellule-souche Taylor/Lewis qui, à Willisau, avait donné le ton, et ce nouveau jalon, il y a une progression indéniable qui ne semble pas vouloir s’arrêter en chemin. Les atomes crochus sont, paraît-il, seulement affaire de chimie. James Brandon Lewis a trouvé la bonne formule pour nous séduire immédiatement. Au gramme près.

par Franpi Barriaux // Publié le 7 février 2021
P.-S. :