Chronique

Butcher / Phillips / Solberg

We Met and Then

John Butcher (ts, ss), Barre Phillips (b), Ståle Liavik Solberg (dms)

Label / Distribution : Relative Pitch

A l’occasion de l’interview qu’il nous avait accordée en novembre 2020, le saxophoniste John Butcher avait annoncé la sortie de We Met and Then, album en trio où l’on retrouve son vieux complice le batteur norvégien Ståle Liavik Solberg et une autre légende des musiques improvisées, le contrebassiste Barre Phillips, pour une première rencontre avec le Britannique. Un disque qui s’est construit en 2018 et 2019, entre Oslo et Munich, dans divers festivals. Autant dire que la rencontre était attendue ; elle se révèle plus ténébreuse encore que ce qu’on pouvait imaginer. La contrebasse de Phillips, dès les premières secondes de « - and Then » va chercher dans les infrabasses de son archet des ponts, des points d’ancrage avec les vibrations d’anches du saxophone. La batterie ponctue, dessine, s’invite dans les détails du corps-à-corps languide.

Mais ce long morceau met fin très vite à la crainte que l’on pouvait avoir d’assister à un disque vampirisé par Phillips et Butcher. Évidemment, l’atmosphère est lourde, étouffante parfois et se durcit à mesure que le saxophoniste monte en puissance. Plus le souffle prend de l’ampleur, plus l’archet rebondit sur ses cordes. Plus la mer grossit… Mais la batterie, à ce jeu, est un parfait régulateur. La constante attention de Solberg, sa capacité à dominer un flux sur ses cymbales ou sur des cloches qui prennent en un instant tout le spectre du son, obligent ses compagnons à chercher d’autres issues, à sculpter le son avec des gestes infimes. C’est ce qu’on entend dans « Chaudron profond », alors que la contrebasse se met à tutoyer le silence, à entraîner Butcher dans des circonvolutions de plus en plus lointaines comme pour contourner la mitraille de la batterie qui va engager soudain un sursaut collectif, prompt aux explosions.

Sur la pochette de ce disque paru sur le label Relative Pitch, on a l’image d’un tour de potier, sur laquelle des mains façonnent un objet en devenir. C’est une belle image d’une musique en constante évolution, en perpétuelle remise en question qui se fabrique dans l’instant, entre fragilité et robustesse. Le trio, à l’instar de ce qu’on peut entendre dans « Vivid Inkling » où les slaps et les sifflements des anches érodent un bel amalgame de cymbales et d’archet, offre un matériau brut qui peut avoir, à qui sait être patient, la brillance des pierres précieuses. Une belle rencontre.

par Franpi Barriaux // Publié le 3 octobre 2021
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