Chronique

Harris Eisenstadt Old Growth Forest

II

Harris Eisenstadt (dms), Tony Malaby (ts, ss), Jeb Bishop (tb), Jason Roebke (b)

Label / Distribution : Astral Spirits

Dans la forêt brame le cerf. Dans les vieilles frondaisons canadiennes du batteur et compositeur Harris Eisenstadt, le cri est porté par des timbres plus harmonieux : par deux fois, le quartet Old Growth Forest a réuni le saxophoniste Tony Malaby et le tromboniste Jeb Bishop. Autant dire que dès « Needles/Seeding », l’échange est intense et joueur ; la coulisse de Bishop est rapide, saignante et insatiable ; quant au ténor, il insiste, s’immisce dans les éclats persistants du trombone et s’amuse du jeu boisé et très musical d’Eisenstadt. Il y a entre les musiciens, auxquels s’ajoute le contrebassiste Jason Roebke, comme la joie d’une liberté qui n’a pas besoin de s’affirmer.

Les pièces d’Eisenstadt sont assez écrites, comme souvent, à l’instar du très doux « Shaded Canopy » où la basse tient une ligne à la fois rigide et pleine de poésie pendant que les soufflants s’essaient à l’unisson. Mais il ne faut pas longtemps, dans un jeu de cymbales d’une finesse rare, pour que Bishop s’échappe avec une sinuosité sans égale. Cela pourrait déboucher sur le chaos, c’est au contraire une énergie folle qui s’en dégage et que Malaby sait exploiter à merveille. Avec de telles individualités, on pourrait penser qu’une forme de compétition puisse naître, mais c’est plutôt un grand respect. « Pit and Mound » en témoigne, où Roebke et Bishop brillent dans une discussion d’une fluidité rare, tout en souplesse et en sensualité, à peine soulignée par une batterie qui a l’art de se faire oublier, tant elle sait se fondre. On avait apprécié les trois dans le fondateur Tiebraker. Avec Malaby, cet orchestre prend une dimension supplémentaire, plus imprévisible.

Les musiciens se connaissent depuis longtemps et partagent une certaine communauté d’idées. Sobrement nommé II, cet album est l’histoire d’un premier concert annulé par la neige et qui fut reporté en juin. Eisenstadt, dans ses notes de pochettes écrites pour ce disque paru sur le beau label Astral Spirits, parle de la chaleur de l’accueil ; on ressent cette atmosphère cosy dans la grande liberté que s’arrogent les musiciens. Cette douceur de vivre pourrait endormir, faire mollir n’importe qui, mais ce n’est pas le genre de cette Old Growth Forest qui tient à son caractère sauvage, quoique très accueillant. C’est ainsi qu’il faut l’écouter précieusement : une musique d’une haute tenue qui sait hérisser ses épines quand il le faut et donner des fruits bien mûrs en temps choisi, et qui peuvent changer d’arôme selon les instants. Un régal.

par Franpi Barriaux // Publié le 1er décembre 2019
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