Eraslan, Frith, Malmendier et Weil
There or Here and That
Anil Eraslan (cello), Fred Frith (eg), Tom Malmendier (dm), Clara Weil (voc)
Label / Distribution : Eux Saem
« Mais Si », « Someone Behind Me Is Also Walking », « Notre Sale Secret », et le titre même de l’album, There or Here and That, ainsi que les noms des autres pièces surprennent un peu, suscitent le sourire. Pas d’ambition profonde. Ils ne se prennent pas au sérieux.
Mais cet album n’est pas une pochade.
Avec « Mais Si », le ton est donné. Une voix comme en apnée puis qui s’enhardit, vocifère, un semblant d’orgue sur une guitare, des accords répétés inlassablement, des lignes à l’électricité acide, des crépitements de baguettes, des frappes comme des éboulis chaotiques sans fin, un violoncelle à l’archet rageur, compulsif. On est soufflé par ce déversement inexorable.
« Lockdown » s’ouvre sur une infra-musique faite de crépitements des deux cordes, des baguettes, de la caisse claire… Un « Mais ! » qui explose et la voix qui est expulsée comme des particules accompagnées de jets de gaz électroniques.
« Someone… » se présente comme une ballade, une voix quasi enfantine… au milieu de mitrailles d’abord à bas niveau avant de prendre de l’ampleur.
On pensait être dans un espace métallique, ce sont des liquides qui nous accueillent dans « Notre sale secret ». Rien n’est continu : des salves de convulsions, de vibrations, des coups d’archet, des roucoulements. Une musique faite d’une multitude de segments qui se superposent et de jaillissements en à-pics.
De bout en bout, ça crépite, ça jaillit, ça coupe le souffle. L’esthétique ? Difficile à dire. De l’électronique ? Du rock ? Certains parlent de punk… Oui, il y a sûrement tout ça et peut-être d’autres ingrédients. Du blues ? Pas une once. À l’image des jeunes créateurs d’aujourd’hui bien des influences sont enchevêtrées, mais le projet est d’abord et avant tout de l’improvisation.
C’est l’assemblage des timbres, des granulations, des stridences, des salves de particules sonores, des mitrailles percussives, des murmures… qui fait musique.
Difficile de distinguer l’apport spécifique de Fred Frith, par exemple, non qu’il soit noyé dans un maelstrom indifférencié, mais il faut l’entendre comme une composante de cet incroyable tissu sonore, avec ses stridences, ses grésillements doux, ses bourdonnements électriques, ses craquements forcenés, ses plaintes métalliques, ses distorsions.
De même on voudrait tendre l’oreille pour le violoncelle d’Anil Eraslan, mais il ne cherche rien d’autre qu’à apporter ses timbres, ses claquements, ses coups d’archet furieux, son doux toucher des cordes, son lance-grenaille à jet continu d’un nouveau genre.
La percussion de Tom Malmendier alors ? Oui, peut-être. Par l’irrégularité de ses roulements, par ses coups de boutoir, ses chaos savants, ses frémissements de baguettes, il donne à la musique ce qui ressemble à une respiration incertaine, mais l’entraîne aussi dans des convulsions multiples.
Reste la voix de Clara Weil. Elle vient d’ailleurs, du chant classique, mais elle a considérablement élargi son registre. Avec un vocabulaire de nulle part, des craquèlements quasi électroniques, des salves, ses pseudo chants, sa véhémence ou sa candeur, elle illustre ce qu’elle appelle elle-même le chant acrobatique.
Non, il faut s’y résoudre, ici tout se passe comme s’il n’y avait qu’un seul instrument polymorphe, aux timbres monstrueusement complexes, une seule voix très stratifiée, aux apnées multiples qui réinvente la musique.
Cette musique est publiée par le label eux sæm, à qui l’on doit déjà le surprenant Les Marquises avec Tom Malmendier et Emilie Škrijel. C’est d’ailleurs à cette dernière qu’on doit l’illustration de l’album de ce quartette. Ce dernier est disponible sous forme de CD et d’enregistrement numérique.
Pour une mise en oreilles, la première pièce, « Mais si ».