Chronique

Julien Soro

Players

Julien Soro (ts, ss, cla, objets), Stéphan Caracci (vib, perc, objets), Ariel Tessier (dms, objets).

Label / Distribution : Neuklang

Jeu est un autre je, voici comment on pourra définir le nouvel album du saxophoniste et claviériste Julien Soro, le premier sous son nom. Le trio de Players est effectivement dédié au jeu, pas forcément à l’interplay ou à l’afflux de notes, bien que de ce point de vue, la relation télépathique entre le soprano et la batterie d’Ariel Tessier sur « Snake Skin » soit particulièrement riche. Mais c’est davantage le côté ludique que recherche Soro. Il s’exprime souvent sur les lames expertes du vibraphone de Stéphan Caracci, souvent là pour relancer la machine ou la piquer au vif, mais aussi pour être la machine elle-même : il n’est pas rare que Soro et Caracci troquent leurs instruments fétiches pour des claviers, comme pour acidifier un propos très cinématographique (« Playing The Waves ») ou pour rendre un hommage discret au retrogaming (« Game Boys »).

On se souvient que le saxophoniste et le batteur animaient ensemble Sweet Dog, et l’on retrouve parfois quelques traces des climats de cet ancien trio (« Another Year », qui arrive comme une bouffée soudaine de spleen au ténor), même si le vibraphone vient offrir d’autres perspectives qui se teintent d’une forme de nostalgie. Celle de l’enfance ? C’est sans doute le propos de cet album doucement turbulent, jouer sans entrave et sans se soucier du reste, des échanges de ping-pong délicieusement rythmés de « Dreaming Ping Drumming Pong » jusqu’aux danses insensées de « Weird Dance » où Caracci se lance à la poursuite d’un clavier vintage tout droit sorti d’un Giallo, ces films d’horreur italiens des années 60. On s’amuse. Les musiciens aussi.

Enregistré sur le label Neuklang qui reste fidèle aux anciens de Ping Machine, Players est le genre de disque qui fait immédiatement plaisir. Le jeu est direct sans être simpliste, et l’on peut compter sur l’écriture de Soro pour donner à cette musique pas mal de relief et une multitude d’émotions, à l’image de « Mam’zelle », où la douceur du jeu de Caracci vient nourrir le jeu de Soro, soudain plus contemplatif. En terminant cet album sur un hommage mêlé à Roland Kirk et à Star Trek (on ne le félicite pas pour le titre « Captain Roland Kirk »), Julien Soro affirme qu’on peut être à la fois espiègle et totalement sérieux, jouer et déjouer les étiquettes. Un disque d’une grande fraîcheur.