Chronique

Karja, Renard, Wandinger

Caught In My Own Trap

Kirke Karja (p), Etienne Renard (b), Ludwig Wandinger (d)

Label / Distribution : BMC Records

Le trio composé de Kirke Karja, d’Etienne Renard et de Ludwig Wandinger a atteint une maturité esthétique qui en fait l’un des plus inventifs de la scène européenne actuelle. La pianiste estonienne sait accommoder les recherches harmoniques sans pour autant négliger la beauté du son et les interactions avec ses partenaires rythmiques. Après avoir intégré le CNSM et la classe de Riccardo Del Fra, Étienne Renard a promené sa contrebasse dans de nombreuses formations dont les trios des pianistes Caroline Schmidt, Jonathan Carette et Benoît Delbecq. Les ambiances multiples que crée l’Allemand Ludwig Wandinger à la batterie laissent transparaître son goût pour l’aventure. Il s’est produit avec Jim Black, Sara Persico, le Berliner Ensemble et bien d’autres figures de la musique improvisée, ce qui l’a conduit à enregistrer sur de nombreux labels avant-gardistes.

Est-ce une allégorie propre à ces trois artistes ? Le titre de l’album signifie Pris à mon propre piège, ce qui peut évoquer une forme d’émancipation musicale inextricable. Les thèmes, tout d’abord, affichent une continuité qui donne la sensation d’une formation à l’identité affirmée. En déconstruisant les cellules rythmiques, le batteur préfigure les transgressions où s’engouffre la pianiste, rejointe par le contrebassiste sur le fil du rasoir ; cet enregistrement ne peut laisser indifférent.

De « Take My Tender Heart », qui simule la répétitivité et privilégie les ponctuations, à « Sweat », entrecoupé de silences comme pour mieux mettre en valeur la main gauche de Kirke Karja, l’improvisation tutoie les sommets. Le jeu à l’archet d’Étienne Renard ne fait pas que souligner les pièces musicales, il les intensifie avec conviction. Le registre du clavier est rehaussé dans « Seiklus », partagé entre les macrocosmes de Cecil Taylor et de Paul Motian. La parfaite connivence entre les trois protagonistes se concrétise dans la ballade suspendue « Foam », apportant un contraste saisissant à « Margaret » qui déborde d’interrogations façonnées par une batterie énergique.

À l’image de « First Last Dance », qui respire l’engouement collectif des trois musicien·ne·s, Caught In My Own Trap fait un bond décisif dans le jazz de demain.