Chronique

Kimura - Guy - Hemingway

six hands open as one

Izumi Kimura (p), Barry Guy (b), Gerry Hemingway (d, voc)

Label / Distribution : FSR Records

Déconstruire des schémas usités afin d’en créer de nouveaux, c’est la devise d’Izumi Kimura, Barry Guy et Gerry Hemingway qui apportent un regard novateur sur la formule éculée du trio piano, contrebasse et batterie.

Leurs compositions qui se succèdent dans six hands open as one foisonnent de coloris propices à l’étonnement comme dans « Gnomon », signé par Barry Guy. L’incursion lyrique de la pianiste dans les sonorités opposées du clavier crée des contrastes intenses. L’expérience de chef d’orchestre du contrebassiste au sein du London Jazz Composers Orchestra ressurgit, « Gnomon » s’expose à la manière d’une suite orchestrale, varié, surprenant et tonique par l’osmose de la contrebasse et du jeu délicat aux cymbales.

Le contrebassiste retrouve une fonctionnalité propre aux improvisations jazzistiques qui nous rappelle qu’à ses débuts il animait un trio identique avec Howard Riley et Tony Oxley. Flight, enregistré en 1971, en est le témoin précieux. Si depuis, les nombreuses expériences dans la musique contemporaine et baroque n’ont cessé d’enrichir le discours de Barry Guy, c’est toujours un immense plaisir que d’entendre ses interventions pertinentes dans un trio acoustique.

La composition de Gerry Hemingway « The Unexpected », divisée en quatre sections, synthétise également les méthodes d’écriture chères au batteur à la fois respectueux de la tradition mais qui sait comment insuffler des idées régénératrices. Cette suite musicale émane d’un épisode relatif à la guerre en Ukraine : le récit radiophonique d’un journaliste accueilli par une femme âgée et sa petite-fille à la frontière russe, qui n’ont pas quitté la maison familiale dans un paysage en ruine. Le partage d’un maigre repas suivi de l’échange amical entre ces deux entités distinctes réunies un court instant a profondément inspiré Gerry Hemingway. Le climat ascétique de « Day Into Night » ouvre la porte au piano qui tutoie l’exaltation dans « Sanctuary » avant de plonger dans l’abstraction sonore de « Corridors », embelli par l’inventivité de la batterie. La conclusion de « Spirit » subjugue par l’amplitude remarquable de la contrebasse et la vitalité empreinte de dramaturgie qui parcourt cette pièce.

« Underdrift », écrit par Izumi Kimura, affirme sa volonté d’interagir avec ses partenaires musicaux. Elle expose le thème en prenant soin de le laisser respirer, tout en y ajoutant des successions de notes perlées. Sa sensibilité se perçoit dans son vocabulaire qui réussit l’exploit d’être à la fois pondéré et généreux.

Ces trois artistes accomplis donnent pleinement la mesure de leur sens harmonique et mélodique raffiné, six hands open as one, sans lettres majuscules, baigne dans une humilité bienfaisante.

par Mario Borroni // Publié le 12 août 2024
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