Chronique

Kühne / Vogel / Lanz

How Noisy Are The Rooms ?

Almut Kühne (voc), Joke Lanz (turntables, elec, fx), Alfred Vogel (dms)

Label / Distribution : Boomslang Records

Le point de vue provocateur d’une anarchie créative. C’est ainsi que se définit se trio germano-suisse né dans les bouillonnants quartiers de Berlin. On est tenté d’en faire une chronique en tant que telle, résumée à l’extrême ; mais le foisonnement, la joyeuse entropie qui règne dans How Noisy Are The Rooms ? mérite objectivement que l’on développe et on argumente, qu’on explique et qu’on partage. Ce n’est pas tous les jours qu’une chanteuse allemande capable de passer de la musique ancienne aux babils des improvisations contemporaines croise le chemin de l’un des plus radicaux des platinistes européens. Un chemin qui plus est dessiné par Alfred Vogel, batteur lui même très polymorphe, du power trio Tres Testosterones à des rencontres avec Sylvie Courvoisier ou Barry Guy. Un morceau de cet album symbolise lui aussi ce grand carambolage : le groove fiévreux de « Heart Attack » où la chanteuse Almut Kühne se mesure aux attaques féroces des platines de Joke Lanz, le furieux orfèvre suisse du groupe underground Sudden Infant.

Incroyable Almut Kühne. La vocaliste allemande a déjà été remarquée avec Gebhart Ullmann dans des contrées où le silence est un matériau brut travaillé par la voix. Elle fut aussi l’une des sensations du dernier Jazzahead, en remplaçant Claudio Puntin dans l’impressionnant Four Fauns de Tilo Weber. Capable de tout avec sa voix extrêmement colorée, Kühne se lâche totalement et habite toutes les chambres pour mieux défaire les lits et engager des batailles de polochons. Les sons de sa voix s’articulent dans des langues étranges et pourtant familières sur « Amma Chenne Cha », pendant que batterie et platines construisent une rythmique faussement simple. On pourrait avoir dans cet How Noisy Are The Rooms ? une tentation du grand-guignol et de l’exagération. C’est au contraire un modèle d’équilibre qui cherche d’abord à dynamiter les certitudes, à l’instar de « Detox Zombie Porridge ». Sur le morceau symbole de cet album, Almut Kühne est ballottée par un gimmick entêtant de Lanz tout en parvenant à conserver un certain lyrisme qui ne se limite pas à ça et n’oublie jamais d’être joueur.

On peut être surpris et déstabilisé par cette musique qui ne s’interdit rien, qui cherche les contraires et les contradictions dans onze saynètes souvent courtes, comme autant d’atmosphères. Mais il est presque certain que l’on sera charmé, tant par « Rrrrub » où la voix se love dans les diverses syncopes de la batterie que par le hip-hop brisé de « Sim Sim Sum »où Almut Kühne ajoute à son chant une grande théâtralité. On pense souvent à une version plus nerveuse et sombre de ce que Leïla Martial peut proposer avec Baa Box ; on retrouve chez les chanteuses le même talent foisonnant et le même goût pour le jeu. Pur produit de Berlin, How Noisy Are The Rooms ? est ce genre d’accident fécond que l’on n’attend pas et qui nous cueille avec une grande excitation et même une pointe d’émotion lorsqu’un piano bouclé, issu des platines et vite trituré vient nous offrir une romance fracassée sur « Love Songs ». Un album sans concession et idéalement foutraque.

par Franpi Barriaux // Publié le 3 octobre 2021
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