Chronique

Dubuis/Guy/Vogel

Heavy Metal Rabbit

Lucien Dubuis (bcl), Barry Guy (b), Alfred Vogel (dms)

Label / Distribution : Boomslang Records

Électron libre de la scène suisse, le clarinettiste Lucien Dubuis vient régulièrement se rappeler à notre bon souvenir et remettre dans les têtes de chacun que le timbre chaleureux est puissant de sa clarinette basse est l’un des plus réjouissants d’Europe. La dernière fois, c’était avec Tres Testosterones, et le contexte était bien différent de ce Heavy Metal Rabbit. Plus électrique, plus dure que cette rencontre avec le bassiste Barry Guy placée sous le signe de la grande agilité. A l’écoute de « Dorimu », on reconnaît le goût de chaque membre du trio pour la musique improvisée brute et sans filet ; le batteur autrichien Alfred Vogel, qu’on avait pu apprécier récemment avec Sylvie Courvoisier, a le jeu parfait pour ce genre d’exercice, imprévisible et toujours en mouvement. Quant au bassiste anglais, il aime passer entre les gouttes d’une clarinette qui fait pleurer le métal à défaut de tirer les larmes.
 
Heavy Metal Rabbit a des allures de lapin-garou. Mignon, primesautier, potentiellement farceur (« Sing Khari, Sun Gobi »), mais qui peut en quelques mesures se faire inexorable et destructeur (« Human Form », où la clarinette structure des riffs qu’on appellerait rock s’il était question d’une guitare). Ce gros rongeur prend de l’ampleur dans la relation privilégiée entre Vogel et Dubuis : ceux-ci travaillent ensemble depuis de nombreuses années et se complètent à merveille. Ce sont eux qui donnent l’impulsion aux morceaux en miroir que sont « Wahu Guru » et « Urug Uhaw » que Barry Guy colore à l’envi.
 
Heavy Metal Rabbit est un éloge de l’agilité. Dans des morceaux relativement courts et nerveux, le lapin s’offre des courses heurtées, joueuses, qui s’amusent de leur imprévision. Ce n’est cependant pas de la musique écervelée, ou qui resterait immobile dans les phares. Avant tout parce qu’il y a une complémentarité remarquable entre les musiciens, tant dans les timbres que dans l’approche. Lorsque Guy et Dubuis sur « Ibog Nus Irak Hgnis » s’enfonce dans les profondeurs, ce sont les tintinnabulis des cymbales qui nous sortent du terrier. Paru sur le label Boomslang Records, Heavy Metal Rabbit est un joli témoignage de la vivacité des musiques improvisées européennes. A déguster sans modération. Et pourquoi pas avec du romarin et de la moutarde.

par Franpi Barriaux // Publié le 4 octobre 2020
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