Chronique

How Noisy Are The Rooms

Tühü

Almut Kühne (voc), Joke Lanz (platine), Alfred Vogel (d)

L’inattendu est toujours une alchimie complexe et fragile. Il y a quelques années, le label Boomslang du batteur Alfred Vogel, l’une des maisons les plus aventureuses d’Europe, nous avait proposé une forme très raffinée qui réunissait, outre Vogel lui-même, la chanteuse Almut Kühne et le platiniste Joke Lanz, deux musiciens parmi les plus inventifs de la scène berlinoise. How Noisy Are The Rooms ? (HNATR) était un petit théâtre de sons et de créations qui méritait une suite, tant le travail entre les samples et les ponctuations de Lanz répondaient à merveille au travail de voix, aux babils imaginaires et aux envolées lyrique de Kühne. Avec Tühü, le trio montre que l’hôtel n’a pas changé de catégorie : les chambres sont toujours aussi bruyantes. Et pétulantes.

« Body Sweats » l’illustre, avec cette voix enfantine qui devient inquiétante en confinant au cri pendant que les platines construisent un film pour les oreilles où les aboiements le disputent aux brisures soudaines ponctuées par la batterie. Le travail de Vogel est indispensable dans HNATR, car ce sont ses rythmiques, parfois empruntées aux breakbeats du Hip Hop qui donnent du mouvement à la créativité et au jeu permanent de ses compagnons (« Model 40 »). « Atze » montre la grande diversité d’émotions et la technique au service du récit d’Almut Kühne, cette capacité à travailler l’instrument-voix tel un personnage à part entière sans se perdre dans la démonstration. Le résultat est sautillant, joyeux et diablement nerveux. Il peut être plus sombre et ataraxique (« Billion People ») sans que la cohérence ne se brise. Une bipolarité revendiquée, accompagnée par Joke Lanz d’un flux dadaïste réjouissant.

De Dada, il est beaucoup question dans Tühü, ou plutôt de l’une de ses égéries, la poétesse Elsa von Freytag-Loringhoven dont Almut Kühne déclame les textes sur de nombreux morceaux. Certains textes en allemand, à l’image de « Tühü » où le souffle de Kühne rebondit sur une batterie égratignée par les chemins sinueux des platines, offrent une musicalité troublante, comme si le champ des possibles du trio - parfois quartet lorsque la vocaliste étasunienne Shelley Hirsch s’invite sporadiquement - était infini et protéiforme.Ce qui est sûr, c’est que cette musique imprévisible est un concentré d’imaginaire et un dédale de découvertes où la fraîcheur rencontre l’inouï. La capacité de Joke Lanz à jouer des codes de la pop-culture pour en faire un univers parallèle offre des écoutes infinies avant d’avoir tari le flot des surprises.

par Franpi Barriaux // Publié le 15 juin 2025
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