Scènes

Jazz & The City, une bonne série

Le jazz, la ville et Salzbourg (Autriche). Festival du 16 au 20 octobre 2019


A Salzbourg c’est sous un soleil quasi printanier que se déroule la vingtième édition du festival Jazz & The City. La rivière Salzach partage la ville entre le quartier médiéval et baroque de l’Altstadt et les bâtiments cossus et modernes du XIXe siècle de la Neustadt ; les touristes nombreux déambulent dans les rues colorées aux boutiques désormais mondialisées. On ne peut échapper à l’histoire de Mozart qui est omniprésent dans les rues, les boutiques, les musées (sa maison natale en est un) et autres institutions.

Voir toutes les propositions de la programmation du festival relève de la gageure : 5 jours, 40 lieux, 40 groupes, 300 artistes. Autant dire qu’il faut préparer son parcours si on souhaite assister aux concerts de son choix, ceux-ci se déroulant parfois au même moment. L’application dédiée au festival est une aide précieuse, voire indispensable, pour qui découvre Salzbourg. Tina Heine, directrice artistique du festival depuis 2016 et sa micro-équipe de 5 permanentes préparent le festival depuis Hambourg, relevant le défi de proposer des musiques contemporaines et expérimentales, pour la plupart européennes, avec un esprit d’ouverture pour un large public. Pour cette édition l’urbaniste viennois Oliver Hangel est venu apporter son expertise en matière d’organisation At the City. À noter que tous les concerts sont gratuits, invitant ainsi un auditoire parfois novice à écouter et découvrir les artistes proposés.

Qui dit gratuité pour les spectateurs dit partenariat, celui-ci est public-privé : la municipalité de Salzbourg, des fondations et une dizaine de sponsors privés subventionnent 400 000 € de budget. Diverses scènes accueillent les concerts du festival : cafés, boutiques, ateliers, hôtels, clubs, théâtres, une église et bien sûr les hauts lieux de musique comme les salles de concerts de la Fondation Mozart, le magnifique auditorium de l’Université Mozarteum, la SZENE de Salzbourg, salle-bar à bière dédiée aux évènements rock-pop.

Salzbourg Jazz & The City photo C Charpenel

C’est sur ce lieu que je choisis de commencer mon périple de jeudi : Jarmo Saari Republic, le guitariste finlandais et ses trois batteurs me laissent de glace. Parfait pour me donner le temps de filer au Markussal Yoco, sympathique club en sous-sol dans la vieille ville, découvrir le pianiste Elliot Galvin et le saxophoniste Binker Golding. Dès la première note de leur concert improvisé, le premier cluster devrais-je dire, ces jeunes musiciens captent l’attention sans laisser une minute de répit. Artistes à suivre, le public est scotché.

Le duo laisse la place à Edward Perraud en trio avec Paul Lay (piano) et Bruno Chevillon (contrebasse), qui jouent le répertoire du récent disque Espaces. Je tenais à voir ce projet en concert, l’enregistrement m’ayant emballé : je fus comblé (le public également, vu le nombre de CD vendus à l’issue). Le trio a fait évoluer les morceaux, incarnant au mieux les compositions du batteur.
Le festival propose également des blind dates, en français des rencontres à l’aveugle entre 2 ou 3 artistes : un-e musicien-ne choisit un-e partenaire pour se lancer dans une improvisation, ceux-ci n’ont jamais joué ensemble et se rencontrent au début du concert. Je découvre ainsi la chanteuse allemande Almut Kühne qui invite le New-yorkais Chris Dahlgren à la viole de gambe et Jaquelin Ultan au violoncelle. La chanteuse au registre contemporain me rappelle Claudia Solal autant par l’emploi de sa voix que par sa tessiture. Une belle osmose avec ses partenaires dans le petit caveau de dégustation de l’Arthotel Blaue Gans, hôtel chic du quartier médiéval.

Vendredi, je commence mon marathon au point info de l’organisation.
C’est ici que démarrent les Sound Walks, parcours dans la ville avec un musicien. Cet après-midi Edward Perraud entouré d’un groupe de spectateurs chemine dans les rues ; le mobilier urbain est prétexte à percussions ; moment d’humour lorsqu’un chauffeur de bus reprendra le motif au klaxon.

A l’université Mozarteum le trio norvégien Y-Otis (Otis Sandsjö saxophone, Dan Nicholis synthé, Tilo Weber batterie) propose un mix de musique électronique et jazz dans un auditorium bondé. Dans un autre genre le plasticien-musicien Stefano D’Alessio présente au café Shakespeare son installation sonore : une lampe d’architecte, des capteurs sur la structure, chaque mouvement est amplifié puis le son des ressorts est malaxé par un système électronique. Expérimental.

Je file à la Fondation Mozart où se produit Silent Witness : Mieko Miyazaki (koto, voix) et Bond (basse, électronique) jouent une musique en partie improvisée sous les ors du splendide Grand Hall, mélangeant le koto traditionnel avec les boucles échantillonnées du bassiste. Je suis passé à côté de ce concert, les musiciens étaient annoncés en quartet et le duo se cherchait ; seul le chant énergique de Mieko m’a ramené dans la musique.

Changement d’ambiance avec Fabian Rucker 5 au Markussal YoCo : le quintet du saxophoniste salzbourgeois me rappelle certaines compositions de Mickael Brecker mais avec une nuance Mississipi Blues apportée par le guitariste Christian Neuschmid. Un répertoire joué avec sincérité et convaincant.

J’enchaîne avec le quartet du trompettiste américain Theo Croker qui joue à la SZENE. Son funk-rock-jazz-fusion, tel qu’il le définit lui-même, est dans la filiation du jazz initié par le RH Factor de Roy Hargrove, et influencé par le hip hop de Donald Byrd. Les spectateurs sont venus en nombre, et le photographe doit se faire petit pour circuler entre les verres de bière.

Je termine la soirée à la Kollegienkirche, l’église de l’université de Salzbourg dont le dénuement intérieur tranche avec l’aspect chargé et kitsch de ces lieux. Je découvre, et ce sera un coup de cœur, Stian Westerhus en solo. Le guitariste norvégien joue entre 2 amplis double-corps et une multitude de pédales. Un son construit de plaintes, de déchirements et de nappes sonores qui se superposent ; la réverbération naturelle du lieu nous plonge dans le tréfonds : Eivind Aarset est au cosmos ce que Stian Westerhus est au magma. La performance est mise en exergue par la plasticienne Katrin Bethge qui crée des images construites en direct à l’aide de peinture, liquides, végétaux, plaques de métal, et projetées sur la hauteur de la nef. Impressionnant et splendide.

Tina Heine directrice artistique et Andreas Gfrerer administrateur du festival

Samedi, après avoir visité le salon du vinyle je me rends au Künstlerhaus de Salzbourg, bâtiment cossu du XIXe siècle dédié à l’art contemporain sous toutes ses formes. Des ateliers, colloques et rencontres sur l’architecture, la peinture, la musique ont lieu tandis que deux musiciennes, Merima Ključo (accordéon) et Jelena Milusič (voix), donnent un répertoire bosniaque revisité plein de force et d’humour.

Retour en centre ville dans l’atelier d’une petite fabrique de parapluies, pour écouter le trio PRO (Gudrun Plaichinger violon électrique, Christoph Reiserer clarinette, saxophone, Tobias Ott tabla, ghatam). Musique dans l’esprit du Hadouk Trio, mais l’exiguïté du lieu et les va-et-vient du public me font décrocher.
En début de soirée Velvet Revolution (Daniel Erdmann saxophone ténor, Théo Ceccaldi violon, Jim Hart vibraphone) enflamme l’auditorium bondé de l’université Mozarteum. Plus tard le sextet Freaks du même Théo Ceccaldi se produit à la SZENE : une explosion d’énergie et de décibels pour un public en symbiose avec les musiciens.

Il est minuit, je suis en excès de musique.
Rendez-vous à la Kollegienkirche où le guitariste Stian Westerhus se produit à nouveau, cette fois en duo avec le pianiste norvégien Ståle Storlokken installé à l’orgue. Surprise en arrivant dans l’église : aucun matériel n’est installé, seuls les bancs pour le public sont arrangés en demi-cercle sous la nef. Puis l’édifice est plongé dans le noir, l’improvisation des 2 musiciens installés au grand orgue est bluffante. Je termine le festival allongé sur le sol en me laissant emmener par le flot de vibrations du duo.