Scènes

Happy Mood, jubilatoire

Compte-rendu du concert parisien de pré-sortie d’album du septet formé par François Ripoche, au Studio de l’Ermitage le 12 décembre 2019.


Happy Mood - Alice Leclercq

François Ripoche réunit un étonnant casting d’étoiles pour un programme original dans l’esprit festif du jazz des origines, au service de l’énergie et des improvisations collectives. Addictif et jubilatoire.

Ils sont venus, ils sont tous là, les six maestros français et américains du jazz, réunis par le ténor nantais François Ripoche pour son nouveau programme intitulé Happy Mood !

Demain ils joueront à Saint-Nazaire mais ce soir ils sont bien arrivés au Studio de l’Ermitage malgré la grève des transports. Alors on peut bien patienter un peu avec eux jusque 21h30 afin que le public brave les problèmes de circulation pour rejoindre l’écrin du 20ème arrondissement de Paris.

Sur scène, de gauche à droite, Geoffroy Tamisier à la trompette et Glenn Ferris au trombone, Simon Goubert à la batterie et Darryl Hall à la contrebasse, Louis Sclavis aux clarinettes, Steve Potts aux saxophones soprano et alto, et enfin François Ripoche au sax ténor et à la direction.

Oui, le combo est exceptionnel. Sa configuration scénique dit tout : c’est une mini-fanfare, placée de part et d’autre d’une section rythmique, qu’a imaginée l’amoureux de l’histoire du jazz pour interpréter son nouveau répertoire original, qui célèbre l’esprit de fête et de création collective qui a présidé à la naissance du jazz.

L’album Happy Mood ! sort le 31 janvier 2020, il est déjà disponible pour nous ici ce soir. Le septet, qui s’appuie encore sur les partitions étant donnée la fraîcheur du répertoire, nous interprète les neuf pièces dans l’ordre dans lequel elles figurent sur l’enregistrement.

Happy Mood (cover album) - Richard Dumas

Dès la première pièce, Simon Goubert lâche les chevaux, Steve Potts entame un solo free avant que Glenn Ferris ne donne la part belle au trombone. La deuxième pièce s’ouvre par le solo de Darryl Hall, son duo avec Glenn Ferris puis un chorus fiévreux de Sclavis à la clarinette basse avant le retour au swing du collectif. François Ripoche nous explique alors ces deux premiers titres : d’abord « Moyenne Section » qui fait allusion au deuxième niveau d’une école maternelle, et « à la faculté qu’ont les petits de passer d’une chose à l’autre en un quart de seconde », puis « Funky Town », « la ville de mes rêves où l’on jouerait tout le temps ».

A partir de là, on capte la cohérence dans l’intention du programme : associer la tradition festive, l’esprit du jazz des origines, mélodies et swing, aux improvisations libres de sept fortes personnalités. Les deux composantes écriture et improvisation, selon une précision rythmique chirurgicale bluffante sous la direction de François Ripoche, se lient en fondu enchaîné. C’est généreux, plein d’humour et très imagé car le compositeur aime écrire des histoires.

Le plaisir partagé et l’émulation du collectif sur scène sont contagieux, en particulier de la part du tandem rythmique central, Darryl Hall et Simon Goubert. Il n’y a pas de mots pour exprimer à quel point leur boulot de chaque instant est époustouflant.

« Le mièvre et la tordue » ? « Une fiction » ironise François, « dans laquelle un couple s’aime, se déchire, s’aime à nouveau. » La formation ouvre la pièce par une décharge free pour ensuite porter collectivement la mélodie et le swing. Geoffroy Tamisier offre un chorus de toute beauté avec la section rythmique.

« Lampedusa », une suite en trois mouvements, tout en élégance mélodieuse, offre une pause dans le tempo du programme. Le thème de la pièce est successivement porté par Glenn Ferris au trombone, avec entrée de Sclavis. Darryl Hall à la contrebasse le porte ensuite et accueille les interventions de Tamisier puis Potts. Le thème est repris enfin conjointement par Glenn Ferris et Darryl Hall, comme support au jeu collectif.

De la place pour que chacun s’exprime, c’est encore et toujours ce qui marque la pièce « Stone ». Un solo de batterie échevelé ouvre la pièce avant le thème majestueusement saccadé du « Milestones » de Miles Davis (1958), découpé collectivement au cordeau. Les interventions successives rebondissent : Glenn Ferris d’abord puis François Ripoche, toujours portés par la section rythmique, avant un duo Sclavis -Tamisier puis le final collectif.

Happy Mood - Alice Leclercq

« Ivresse Urbaine » ? « Une fiction bien sûr ! ». Un homme ivre au point d’en être malade peine à trouver son chemin pour rentrer chez lui. Par moments il est pris d’éclairs du type « Ah … c’est par là ! ». Les éclairs en question se trouvent incarnés sous forme d’éruptions free de Glenn Ferris au trombone et Steve Potts au saxophone soprano.

Après une version jazz de « Auprès de mon arbre » de Georges Brassens, la composition « Convictions à géométrie variable » tire son titre d’une expression entendue dans un débat politique. « Encore une fiction, deux personnes qui s’engueuleraient » sourit François, avec sur la gauche du plateau la team « trompette » et sur la droite la team « clarinette ». Un jeu de questions réponses, soutenu par un tandem rythmique central hyper swinguant.

« Music Matador » d’Eric Dolphy (1963) qui conclut le concert s’avère être le morceau qui a servi de fondement au projet : « Je l’avais dans mon réveil téléphonique pendant deux ou trois mois, je me suis aperçu que le thème me mettait de bonne humeur…ce qui n’est pas dans mon habitude ! C’est ce qui m’a donné envoie de monter ce groupe », explique François. La mélodie « accessible » et la rythmique chaloupée irrésistible de la pièce, passent ici par un solo de la section rythmique, un duo François Ripoche - Steve Potts, des amis de trente ans, et enfin un solo de Louis Sclavis à la clarinette basse.

On aura du mal à quitter notre salle préférée ce soir-là. On s’attarde. Comme une envie de prolonger l’ « humeur joyeuse » que ces sept artistes nous ont fait partager, et qui sera à coup sûr un des albums stars de 2020.