Chronique

Miles Davis

Merci Miles ! Live at Vienne

Miles Davis, tr ; Kenny Garrett, sax ; Deron Johnson, key ; Foley, lead b ; Richard Patterson, b ; Ricky Wellman, d

Label / Distribution : Warner Bros.

Les « nouveaux » disques de Miles Davis fleurissent régulièrement et tous ne sont pas intéressants, loin de là, encore moins les enregistrements des dernières années, répétitifs et plutôt poussifs.
Pourtant, ce Live At Vienne 1991, intitulé (on se demande pourquoi, d’ailleurs) « Merci Miles ! » est un coup de maître.
Capté lors de la dernière tournée française du trompettiste, en juillet 1991, deux mois avant sa mort, ce concert au festival de Vienne est réédité sous le forme d’un double CD/LP avec un travail de qualité. C’est le label Rhino sous l’égide de Warner Records qui propose cet inédit dont le livret est signé par le journaliste Ashley Kahn.
Inédit mais pas surprenant.
En effet, ce groupe est le groupe de Miles à cette époque, ils jouent ensemble des thèmes qu’ils connaissent parfaitement, sans répétition préalable.
Même si la source d’énergie n’est plus à chercher du côté du trompettiste, pour autant, il y a dans ce concert une force et une radiation solaire qui redonnent le sourire. Les thèmes proposés sur le disque sont les classiques habituels de ses derniers concerts : « Hannibal », « Human Nature », « Time After Time », « Amandla », mais l’on entend ici deux titres composés par Prince pour le trompettiste : « Penetration » et « Jailbait ».
Le dernier titre est un final sans le trompettiste qui se conclut par un solo très binaire et revigorant de Ricky Wellman.
La pulsation est donnée en continu par le duo de bassistes électriques, Foley et Richard Patterson, qui construisent et solidifient tout l’édifice en temps réel, avec une inventivité et une délicieuse élasticité. Et les nappes de synthé de Deron Johnson enrobent les sons coupants et métalliques d’une moiteur bienvenue.
C’est en grande partie le saxophoniste Kenny Garrett qui rayonne sur ce disque, avec ses interventions en spirales. Souvent à la suite d’un solo de Miles, avec un passage de relais en tuilage, mais toujours avec un début lent, pointilliste et piano pour signaler son désir de jouer, l’installation d’un module mélodico-rythmique qu’il va commencer à répéter, moduler et accentuer puis, poussé et aiguillonné par la rythmique, il monte en force, en vitesse et en aigus pour finir dans une acmé explosive. On le revoit, se balançant d’avant en arrière, le pompon de son bonnet décrivant un arc de cercle autour de lui : le personnage comme sa musique était envoûtant. Cette recette du solo parfait a très bien fonctionné sur scène et justifie l’acquisition de ce disque.
Miles Davis est plus disert que lors des autres concerts de cette période ; le son métallique et le filet fin, il a toujours cette narration minimaliste et cette amplitude très mesurée. Lunettes glaciers sur les yeux, dos au public, il ne parle pas mais brandit des pancartes avec les prénoms des musiciens qui vont prendre le chorus. La transmission a déjà eu lieu, il n’est plus que l’essence de lui-même… The Creator Has A Masterplan !
Il est heureux que ces bandes, bien enregistrées à l’époque, aient refait surface trente ans après. Cette bonne surprise laisse imaginer le nombre d’inédits qui restent à découvrir, en espérant qu’ils soient du même intérêt.