Portrait

Ohad Talmor, entre Ornette et Konitz

Le saxophoniste rend hommage aux deux grands saxophonistes alto qui l’ont marqué.


Ohad Talmor @ M. Duboule

Ohad Talmor fait beaucoup d’allers-retours entre Brooklyn où il réside et la Suisse où il est en charge du département de jazz du Conservatoire populaire de Genève. Son nouveau disque, Back to the Land (Intakt Records), s’inspire de bandes enregistrées par Ornette Coleman et Lee Konitz alors qu’ils préparaient une tournée en Europe.

Ohad Talmor est né à Lyon de parents israéliens, enfants de la Shoah. Il grandit à Genève où il étudie le piano classique dont il n’est pas friand. « Je n’étais pas très doué et je n’avais ni la discipline ni la vision de cette musique », déclare-t-il. De surcroît, le fait d’avoir pour petite amie la fille de la grande pianiste Martha Argerich n’arrange rien, car cela « fosse sa relation à l’instrument ». À l’âge de 17 ans, il part aux États-Unis dans le cadre d’un échange de jeunes. Il y apprécie la tradition d’enseignement dans les écoles de la musique et du jazz en particulier. Son lycée près de Fort Lauderdale en Floride ne fait pas exception. Une de ses familles hôtes possède un saxophone alto qu’il commence à explorer. « Cela a été le coup de foudre, dit-il. Deux semaines plus tard, mon professeur de jazz m’a donné un ténor, un vieux King. » Le destin de Talmor s’en trouve changé à jamais.

Ohad Talmor @ Alain Métrailler

En 1989, Ohad Talmor fait deux rencontres déterminantes. Dewey Redman est le premier à le prendre sous son aile. « La première leçon qu’il m’a donnée a consisté à me faire jouer un si pendant une heure, se souvient-il. La qualité du son était très importante chez lui. » Tout comme chez Lee Konitz avec lequel il entretiendra une étroite amitié jusqu’à son décès en 2020. Les exécuteurs testamentaires du légendaire saxophoniste se tournent d’ailleurs vers lui pour inventorier les documents contenus dans le vaste appartement qu’il louait sur la 86e Rue à New York. Avec l’aide du batteur George Schuller, qui est aussi documentariste dans la lignée de son père, Gunther Schuller, il découvre des cassettes DAT dont une est étiquetée « Ornette Session ». Elle contient des répétitions en vue de la tournée européenne qu’un quartet comprenant Ornette Coleman, Konitz, Charlie Haden et Billy Higgins entreprendra en juillet 1998. On entend en particulier les deux saxophonistes dans des numéros de duettistes où, chose extraordinaire, il est quasiment impossible de les distinguer. Coleman est une autre influence majeure de Talmor. Il se souvient que In All Languages (Caravan of Dreams) est le deuxième disque de jazz qu’il n’ait jamais acheté.

Ces bandes sont à l’origine du dernier projet en date d’Ohad Talmor, Back to the Land (Intakt Records), qui réunit des collaborateurs de longue date tels que le trompettiste Russ Johnson avec qui il jouait dans The Other Quartet à la fin des années 90. L’exception est le jeune vibraphoniste Joel Ross qui s’occupe d’ailleurs de la programmation de SEEDS::Brooklyn, le « club » fondé par le saxophoniste qui n’est en fait que son living room. En tout, le saxophoniste convoque neuf musiciens que l’on retrouve dans des formations allant du duo au septet, le leader se réservant un espace en solo – le contrebassiste Chris Tordini et le batteur Eric McPherson formant le noyau dur. Outre les compositions originales inspirées par le projet Coleman/Konitz, plusieurs morceaux signés Coleman ou Dewey Redman complètent le programme qui s’étale sur deux discs. « Les morceaux entendus sur la cassette sont de la plume d’Ornette, mais fondamentalement, on ne joue pas la musique d’Ornette, explique-t-il. La démarche du projet était d’une part d’évoquer deux influences majeures qui jouent le même instrument et d’autre part de dégager leur côté lyrique et avant-gardiste, sans la dureté de cet univers-là. » En effet, les morceaux sont des variations sur la dizaine de « compositions » que le saxophoniste est parvenu à discerner en écoutant la cassette DAT.

Ohad Talmor et Russ Johnson @ Michel Maurer

En dépit de l’énorme influence qu’ont exercé sur lui Lee Konitz et Ornette Coleman, Talmor est resté fidèle au ténor. Il ne se l’explique pas vraiment, mais avance une hypothèse. « Je n’ai pas de réponse claire, mais le ténor est plus compositionnel et correspond davantage à ma personnalité musicale », dit-il. Sur certaines compositions figurant sur l’album, le jeu de Talmor s’inscrit cependant dans le registre de l’alto. « J’utilise un bec en bois qui est une extension de bec de clarinette car j’ai toujours aimé ce son boisé, déclare-t-il. J’ai donc tendance à jouer dans l’aigu. En outre, le répertoire [de l’album] est enraciné dans les morceaux découverts dans les cassettes et j’ai voulu garder l’esprit de ces morceaux et leur registre. »