Scènes

Paris Loves New York 2015

« Paris loves New York » disait l’affiche. Le 11 mars dernier, à l’initiative de Paris Jazz Club, trois groupes plus ou moins familiers de la Grosse Pomme jouaient le même soir au cœur de Paris, rue des Lombards. Nous avons tenté l’aventure.


Photo © Fabrice Journo

Le trio BFG au Sunset, le Rick Margitza quartet au Baiser salé et le Moutin Réunion Quintet au Duc se sont partagé un public invité à passer d’un club à l’autre pour faire d’une pierre trois coups. Pas si facile quand on n’a que deux oreilles !

« Chers amis du publicêtre avec les musiciens comme avec ses frères… être avec le public comme avec ses propres amis… » - cette intervention elliptique de l’organiste Emmanuel Bex se présente comme une manière tout allusive de conjurer le penchant consumériste du spectateur. Venu ce soir-là écouter trois concerts pour le prix d’un, sa tentation était forte de papillonner, pour ne pas dire zapper, de l’un à l’autre des trois clubs participant à l’opération Paris Jazz Club. Au Sunset, le trio BFG constitué par Bex à l’orgue (la voix de l’instrumentiste étant fondue dans la matière « organique », pourrait-on dire), Glenn Ferris au trombone et Simon Goubert à la batterie. Ces trois-là éprouvent de toute évidence une joie intense à jouer la musique de chacun et à mêler leurs voix, reprenant des morceaux déjà anciens comme le bouleversant « La belle vie pour Maurice », hommage à M. Cullaz paru sur Here and Now (Naïve, 2001) ou d’autres puisés dans Now or Never (Naïve, 2013), tel « Light’n’Up (If You Can) ».

Leur lyrisme furibard et facétieux est un travail d’orfèvre. Sur « Mr Sanders », composé par Goubert, le grand méchant blues est entré dans la cave et, non content d’avoir pris au piège son auditoire pétrifié (car on sort un peu étourdi par la puissance sonore du trio – un peu trop d’amplification sans doute), il use d’accents séducteurs pour mieux montrer les crocs par la suite – un message d’outre-gueule est délivré dont on ne peut garantir la transcription, faute de parler couramment le bexien. Glenn Ferris prouve une fois de plus que l’homme habité par le blues (le lycanthrope ?) a la faculté de faire décoller la tradition musicale la mieux enracinée.

A quelques pas de là, et du Baiser salé où jouait le quartet de Rick Margitza, le Duc des Lombards accueille, outre des touristes russes fort bavards, le quintette des frères Moutin composé de Louis à la batterie et François à la contrebasse, Thomas Enhco au piano, Manu Codjia à la guitare électrique et l’incroyable Christophe Monniot au saxophone. Souvenez-vous de ces deux derniers musiciens au sein du Baby Boom de Daniel Humair et vous serez peut-être surpris de les voir dans un contexte tantôt néo-bop, tantôt d’inspiration américaine, celle-ci choquant nos habitudes musicalement policées d’Européens frottés de Debussy. Mais quel que soit l’idiome dans lequel parle Monniot, il est tout simplement ébouriffant. Sa maîtrise de l’instrument laisse sans voix, son inventivité n’est jamais prise en défaut, son intégration à l’ensemble jamais servile ; il se promène, verbe haut, humour à la boutonnière, se permettant de coltraniser de la plus pure manière à l’alto, de construire des solos haletants sans paraître fournir le moindre effort. Cet homme, disons-le tout net, nous laisse pantois. Son solo absolu en introduction à « Relativity » aurait suffi à justifier le déplacement – à moins qu’on n’ait jamais entendu la contrebasse de François Moutin préluder de fort vigoureuse manière, insufflant quelque chose d’animal à une composition relativement sage. Au fond, on oscille ici entre le grand écart stylistique et un équilibre parfait entre apollinien et dionysiaque, comme dirait l’autre…