Chronique

Pierre Bertrand

Far East Suite

Pierre Bertrand (ss, ts, alto flûte), Minino Garay (d, zarb, davul, cajon, bombo leguero, frame drum, perc), Stéphane Edouard (zarb, bendir, riq, dholak, tabla, frame drum, perc), Jérôme Regard (b), Alfio Origlio (p), Paloma Pradal (voc), Sabrina Romero (voc), Louis Winsberg (g), Pierre-François Dufour (cello, perc)

Label / Distribution : Cristal Records

Ce n’est pas sans un enjeu considérable qu’on s’attaque à Far East Suite. Celui qui revisite cet album de Duke Ellington et Billy Strayhorn s’expose en effet – et très vraisemblablement malgré lui – à la comparaison. Et ce d’autant plus que la version de Pierre Bertrand reprend les morceaux de la suite d’Ellington dans l’ordre originel. Mais prendre cette comparaison stricto sensu revient à faire fi du contexte. Car on ne voyage pas en Orient de la même manière en 2018 qu’en 1964. Les mots de Pierre Bertrand, maître d’œuvre de ce travail, dans le livret qui accompagne le CD sont à cet égard on ne peut plus explicites. Le saxophoniste rappelle en effet le contexte de guerre froide et de retour d’une tournée en Asie et au Moyen-Orient dans lequel se place la suite originelle. Les propos se terminent en convoquant les mots « sauvagerie », « liberté », et c’est plutôt au regard de la force expressive de ceux-ci qu’il faut considérer son travail.

Rendons-nous à l’évidence, c’est brillant. La musique est à la fois très dense, très homogène, ramassée sur elle-même tandis qu’elle se déploie avec beaucoup de classe. La configuration « orchestre » y contribue bien entendu puisqu’il y a une grande variété de sons et de textures. En outre nombre de musiciens, à commencer d’ailleurs par Pierre Bertrand lui-même, sont aux manettes de plusieurs instruments. C’est notamment le cas de Minino Garay et de Stépnane Edouard. Enfin, nombre d’instruments évoquent directement l’Orient : zarb, dholak, riq et une multitude d’autres. Les voix de Paloma Pradal et de Sabrina Romero enrichissent considérablement les instruments, notamment en section. Là encore, on souligne volontiers l’ingéniosité avec laquelle cet album est construit.

Cette Far East Suite est un disque remarquable et on imagine volontiers que le travail commis par Pierre Bertrand autour de l’album d’Ellington et Strayhorn est considérable. C’est en outre un album qui s’écoute avec délices et ce n’est pas la moindre des choses.