Chronique

Mary Halvorson’s Code Girl

Artlessly Falling

Mary Halvorson (g), Amirtha Kidambi (voc), Maria Grand (ts, voc), Adam O’Farrill (tp), Michael Formanek (b), Tomas Fujiwara (dms), Robert Wyatt (voc :1, 3, 5)

Label / Distribution : Firehouse 12 / Orkhêstra

Il existe des albums où tout se joue dans les premières secondes. Quelques notes, et l’on sait. Le nouvel album du projet « pop ouverte à tous vents » de la guitariste Mary Halvorson est de ceux-ci. Code Girl nous avait déjà impressionné par sa capacité à se tenir sur une ligne de crête entre de nombreux genres et s’exprimer en toute liberté. Maintenant que l’orchestre a évolué et endossé le nom de Code Girl, il prend une toute autre dimension : « The Lemon Trees », chant inaugural, s’ouvre tout à la fois sur un chœur féminin séraphin (Amirtha Kidambi bien sûr et Maria Grand, la saxophoniste qui donne également de la voix) et la trompette solaire d’Adam O’Farrill. C’est l’orchestre qu’Halvorson avait présenté en France il y a quelques mois, et il épouse totalement la nouvelle combinaison de Code Girl, capiteux et sophistiqué. Le morceau nous transporte dans un univers particulier mais intrinsèquement familier, d’autant que c’est Robert Wyatt qui s’affaire au chant. Le vieux diable est chez lui dans cette poésie de l’entre-deux où sa voix douce a des élégances psychotropes. Rock in opposition ? Jazz in coalition ? Rien de tout ça et une pincée de cela à chaque fois : la recette Halvorson.

Il n’est guère surprenant de retrouver le chanteur de Matching Mole à côté de la guitariste. Voici des années qu’elle clame son amour du célèbre barbu. Mais l’on ne s’attendait pas à pareille alchimie. On la savait capable de formes très ouvertes avec Kidambi. L’illustration la plus franche est sans conteste « Mexican War Streets » où la guitare invente toutes sortes d’enluminures pleines de complexité qui parviennent à garder agilité et fraîcheur. Mais avec « Walls and Roses », on découvre une véritable communauté d’idées avec Wyatt. Ce ne sont pas seulement les images surréalistes du texte où il est question de taureau sans tête ou d’un homme qui se dessèche, c’est la rage soudaine d’Halvorson, ces riffs ténébreux qui offrent de la profondeur au timbre altier de l’Anglais. La grande liberté qu’elle laisse aux chanteurs et aux soufflants doit beaucoup à sa base rythmique puissante et mimétique, tel qu’on peut le constater dans « A Nearing » qui débute sur de profonds chemins dessinés par la contrebasse ; est-on surpris d’y retrouver Tomas Fujiwara et Michael Formanek, ses complices de Thumbscrew ? Nullement bien sûr, c’est désormais le noyau dur de la plupart de ses aventures. Un nécessaire port d’attache.

Mary Halvorson a désormais 40 ans, Artlessly Falling sort le jour de son anniversaire. On pourrait parler de cap, mais elle en franchit tant depuis 2003 et ses premiers témoignages discographiques [1] que c’est un euphémisme. On pourra quand même avancer qu’elle a trouvé avec le septet d’Artlessly Falling une forme d’équilibre entre toutes ses envies. On ne découvre pas la plasticité de la voix d’Amirtha Kidambi, qui est presque la traduction vocale des partis pris de Mary Halvorson, le bateau qui tangue dans « Artlessly Falling » en est le symbole. On pourrait dire de même de Maria Grand, dans un rôle impeccable ici (« Last Minute Smears », au milieu du dense canevas de Thumbscrew...). Après tout, après avoir joué avec Steve Coleman, on a entendu Halvorson au sein de son propre orchestre pour le séduisant Magdalena. Mais on est néanmoins fasciné par l’à-propos de la jeune Suissesse dans ce disque qui s’impose comme un incontournable de l’année 2020.