Chronique

Steve Swell’s Imbued With Light

Hommage A Galina Ustvolskaya

Steve Swell (tb), Herb Robertson (tp), Ben Stapp (tub), Sara Schoenbeck (basson), Chris Hoffman (cello), Robert Boston (p), Harris Eisenstadt (d, perc).

Label / Distribution : Silkheart Records

« C’est tellement hors norme. Comment quelqu’un peut-il faire ça ? » Ces paroles de Steve Swell résument mieux que tout l’impact qu’a la musique de Galina Oustvolskaïa sur les mélomanes. Les compositions de la période des années 1940 à 1950 ont un son si moderne qu’on pourrait croire qu’elles ont été écrites aujourd’hui. De plus, cette musique classique singulière intègre des instruments hétéroclites ainsi que des formations anticonformistes, à l’image de la Composition n° 2 Dies irae animée par huit contrebasses, un piano et des percussions. Dans le catalogue de cette compositrice remarquable, on notera la Composition n° 1 Dona nobis pacem pour piccolo, tuba et piano et la Symphonie n° 4 Prière, pour voix, piano, trompette et tam-tam. Galina Oustvolskaïa avait une prédilection pour la diffusion de sa musique dans les églises, estimant que dans les salles de concert, donc dans un environnement profane, la musique résonnait différemment.

La tension qui traverse « Hammer » se matérialise avec les coups assénés sur le piano par Robert Boston, calqués sur l’écriture de Galina Oustvolskaïa. Réputée pour l’utilisation de blocs de sons homophoniques répétés, la compositrice était surnommée la femme au marteau par le critique néerlandais Elmer Schönberger. Dans un registre opposé, « Three Card Monte » s’engage dans une veine méditative qui conduit aux soubresauts de « Rocks », les accords tranchants du piano débouchant alors sur le trombone agile de Steve Swell. Les dissonances scandées en chœur par Herb Robertson à la trompette et Chris Hoffman au violoncelle subliment le jeu déstructuré du batteur Harris Eisenstadt qui rappelle combien les formules rythmiques complexes comptaient pour Galina Oustvolskaïa. L’intervention au tuba de Ben Stapp dans cette longue pièce est majestueuse, le déroulement de son improvisation intensifie le langage élaboré du septet.

De courtes pièces diversifiées se succèdent, « Ear Hygiene » faite d’intensité ou « Essential Workers » magnifié par le basson de Sara Schoenbeck qui évoque l’avant-gardiste Karen Borca. Non loin des conceptions orchestrales de Muhal Richard Abrams, « Composite #12 » s’oriente dans une succession de climats hétérogènes ; les cuivres explosent de manière éclatante tandis que l’agrégat rythmique lie habilement cette composition. Les textures chatoyantes s’intensifient pour se retrouver subitement au bord d’un abîme. C’est là que réside la force de cette musique qui bouscule délibérément les habitudes.

Steve Swell a parfaitement su trouver un équilibre entre les contrastes de tempo et l’originalité du langage conçu par cette compositrice russe. La dimension cosmique qui transparaît dans les neuf morceaux de ce disque réactualise une musique sans pareille. Ce n’est que justice rendue : née le 17 juin 1919 à Saint-Pétersbourg, Galina Oustvolskaïa a traversé le XXe siècle sans que son talent soit reconnu en URSS. Avant de disparaître le 22 décembre 2006, cette immense artiste vivait recluse dans un petit appartement de sa ville natale. En parfaite harmonie avec cette musique conceptuelle, une œuvre picturale de Ted Joans orne la pochette de l’album.

par Mario Borroni // Publié le 13 avril 2025
P.-S. :