Chronique

Tikkun

Dawn Ceremony for Dreadful Days

Yoram Rosilio (b), Jean-Michel Couchet (as, ss), Florent Dupuit, Benoit Guenoun (ts, fl), Andrew Crocker (tp, voc), Rafael Koerner (dms)

Label / Distribution : Le Fondeur de Son

Parmi les projets les plus audacieux et les plus personnels du contrebassiste Yoram Rosilio, il y a Tikkun. Sextet de fidèles qui se compose de musiciens intégrés dans ses autres orchestres comme les trois saxophonistes Jean-Michel Couchet, Florent Dupuit et Benoit Guenoun, Tikkun livre avec Dawn Ceremony for Dreadful Days un second album puissant et recueilli qui continue à puiser dans les traditions et les rites de la culture séfarade dans laquelle Rosilio a grandi. « Tov Lehodot », la très belle méditation proposée par Rosilio, en est une parfaite manifestation : l’archet de la contrebasse extrait un thème comme un fruit sort de terre et le chœur des soufflants, tout en retenue et en distance, s’en empare avec méticulosité. C’est une boucle, une parabole qui peut devenir étourdissante et que la batterie précise et volubile de Rafael Koerner maîtrise avec beaucoup de sérieux. Plus loin, dans « Shema », acte de foi collective plus enclin aux débordements, la batterie devient un accélérateur de particules que l’alto de Couchet enfourche pour filer dans une dimension plus abstraite, ouverte à des turbulences qu’incarne la trompette d’Andrew Crocker.

L’atmosphère, très colemanienne tendance Ornette, avec ce qu’il faut de références au Liberation Music Orchestra, est propice à l’exutoire. Davantage peut-être que dans 24 Gates, le premier album de Tikkun sorti en 2015 toujours chez Le Fondeur de Son, Yoram Rosilio parvient à créer une relation organique entre la tradition et l’exubérance d’improvisateurs qui aiment manifestement jouer ensemble. « Amidah », long morceau où Benoît Guenoun entre autres teste la résistance d’une base rythmique galvanisée, en est un exemple patent. Le sextet est une mécanique de précision qu’un carburant versatile peut faire exploser à tout instant, surtout lorsque tous les saxophones tirent dans des sens opposés, s’agrippant à des brisures de mélodies, comme des petites banderilles.

Il y a une grande maturité dans ce disque. Yoram Rosilio est un musicien passionné qui aime transmettre, et c’est le vrai mot d’ordre de Tikkun. Il n’y a rien de mystique dans l’usage de cette musique, pas davantage de transcendance, même si certaines tourneries peuvent rechercher une forme de transe, comme ce qu’on entend dans « Ygdal ». La musique qui intéresse l’orchestre ce sont les rites, le mouvement, la répétition. Dawn Ceremony for Dreadful Days est tout ce qu’il y a de plus séculier, comme le révèle « Mi Aich », où le britannique Andrew Crocker déclame un texte dans une tradition du Spoken Word bien présente dans le Free : « Free your ass, and your mind will follow » [1]. Pas très liturgique mais libre, définitivement.

par Franpi Barriaux // Publié le 3 octobre 2021
P.-S. :

[1Libère ton cul, et ton esprit suivra ; un album de Funkadelic prétend l’inverse : Free Your Mind and Your Ass Will Follow…