Le violoncelle donne de la voix
Tour d’horizon du gros violon.
violoncelle © Jean-Michel Thiriet
Artisan discret de nombreux orchestres, doté d’une image chambriste qui lui colle au bois, le violoncelle n’est pas seulement l’instrument courtois qui s’approche de la voix, absolument humain. Lorsqu’il se retrouve seul, le violoncelle peut s’avérer plus casse-cou, et lorsqu’il opère en bande, il peut devenir volubile et grinçant sans rien perdre de son souffle. De Tomeka Reid à Luca Tilli, petit panorama des expressions récentes.
C’est avec deux collègues violoncellistes que Tomeka Reid propose son nouvel album chez Relative Pitch. Il porte sobrement le nom des musiciennes, comme pour en relever le caractère brut, et la passion d’un archet qui divague sur les cordes. Une sororité de cordes, à l’image du disque que Reid enregistrait il y a quelques années avec Mazz Swift et Silvia Bolognesi. Mais ici, tout est dédié au violoncelle : avec Elisabeth Coudoux, musicienne allemande déjà aperçue au sein de l’orchestre de Raphaël Mafliet, et Isidora Edwards, jeune musicienne ibérique impliquée dans la musique improvisée et la polyvalence artistique, Tomeka Reid propose une musique obstinée et en mouvement.
Elle joue à la fois sur un frottement qui peut se transformer en râles, et sur l’aspect très boisé de l’instrument qui prodigue craquements et éclats, ce qu’on perçoit dans l’intense « Lying Layers » où une rythmique naît du rebond sur les cordes. Dans la profondeur des basses comme dans les soudaines voix de tête, les violoncelles de ce trio offrent de complexes arabesques et un corps-à-corps agile.
Le climat n’est guère différent chez l’italien Luca Tilli qui signe avec Empty Smile son premier solo. On avait entendu le violoncelliste avec Giancarlo Schiaffini dans son Kammermusik. Empty Smile est turbulent, volontiers chahuteur, avec un archet qui aime à rebondir sur les cordes pour donner davantage de mouvement encore. « Providence » est ainsi un exemple de générosité, quand « Ida » est volubile et nerveux.
- violoncelle © Jean-Michel Thiriet
Contrairement au trio, qui cherchait les strates et le détail, Tilli avance tout droit, bouscule, rigole, tourneboule. À cette fin, les morceaux du solo sont courts, de petites saynètes qui n’excèdent jamais les trois minutes. On bondit et on partage l’enthousiasme de ce disque paru chez We Insist, décidément très vigilant à ce qui se passe dans la musique improvisée européenne.
On ne pourrait pas clôturer un article panorama sur le violoncelle sans évoquer quelques instants la mémoire du violoncelliste français Hugues Vincent qui nous a quittés il y a quelques semaines. Fin connaisseur du Japon et des musiciens asiatiques, on l’a entendu dans diverses formations, à commencer d’ailleurs par le quartet de violoncelles The Octopus où il croisait d’ailleurs Elisabeth Coudoux. Musicien généreux, Hugues Vincent avait une sensibilité et une douceur affable qui a laissé beaucoup de souvenirs à ses compagnons de scène, dont Yoram Rosilio fut un des plus fidèles. On partagera encore une fois un concert magique enregistré il y a dix ans dans l’émission À l’improviste d’Anne Montaron sur France Musique, où il croisait l’archet avec le violoncelliste Mori Shige, l’une des grandes rencontres de sa carrière. La musique ne disparaît jamais vraiment.