Chronique

Things To Sounds

3

Tobias Meier (as), Yves Theiler (p, Rhodes), David Meier (dms)

Label / Distribution : Wide Ear Records

Si l’album de Things To Sounds s’appelle laconiquement 3, ce n’est pas seulement pour célébrer l’art du trio dans ce qu’il a de radicalement improvisé. Plus prosaïquement, c’est parce qu’il s’agit du troisième album de l’orchestre que les frères Meier animent avec le pianiste Yves Theiler. Un enregistrement urgent, sans coupures inutiles ou découpage en mouvements. « [42:02] », titre de l’unique pièce que les improvisateurs offrent avec une attention de chaque instant, est la durée du concert, donné en Autriche a l’occasion d’un festival. Une construction moins formelle que Organism apparaît, notamment parce que les musiciens semblent déliés de tout type de narration. Une liberté totale qui n’interdit pas des rôles assignés et un esprit collectif qui permet à l’auditeur de lâcher prise.

Tobias Meier, au saxophone alto, est ainsi toujours sur un fil. Il n’est pas le leader, ce qui serait incongru dans ce genre de formation très égalitaire. C’est néanmoins lui qui s’extrait en premier d’une masse pesante cernée par le silence à force de slaps et de fulgurances acides qui viennent se mêler au bouillonnement à bas bruit des cymbales de son frère. Ça ne l’empêchera pas, à l’orée du deuxième quart du morceau, de soudainement rechercher le cri comme s’il était animé d’une rage incurable. A moins qu’il ne soit la rage en personne. De même, David Meier aux percussions n’est pas nécessairement l’ouragan incarné. Il se met souvent au service de ses compagnons pour mieux infléchir les courbes et pétrir plus aisément la pâte créative de ce champ de sensations sonores en complète évolution. En dépit de l’unicité du concert, on retrouve dans son jeu la démarche résolument cyclique déjà aperçue sur le précédent disque.

Mais la confirmation de cette équipée de jeunes Suisses, c’est le pianiste Yves Theiler. On le sait grand mélodiste, capable de s’immerger dans des climats plus classiques. Ici, il ne se dissout en rien. Il est en absolue fusion avec les Meier. Tellement qu’il disparaît parfois dans les infrabasses de son clavier, dans un martèlement perpétuel qui rend souvent l’atmosphère irrespirable et saturée de vapeur. Comme la lave qui reprend forme à mesure qu’elle cesse de s’embraser, le propos du pianiste change tantôt d’aspect, au point de devenir une nappe électronique qui submerge l’alto et chamboule le continuum de l’improvisation. Sorti sur le label Wide Ear Records, 3 est un disque exigeant mais foncièrement vivant.