Sur la platine

Trio Orbit : deuxième révolution

Le trio Orbit propose un deuxième disque qui repart de zéro et se dirige vers l’infini.


Tom Rainy, Sébastien Boisseau, Stéphan Oliva, photo Christophe Charpenel

Fondé conjointement il y a maintenant sept ans par le pianiste Stéphan Oliva et le contrebassiste Sébastien Boisseau qui ont voulu associer le batteur Tom Rainey à leur collaboration, le trio ORBIT (pour Oliva Rainey Boisseau International Trio) propose aujourd’hui un deuxième volet à sa discographie. Après Orbit, paru en 2019, In-visibility, sur le label Yolk tout comme son prédécesseur, est l’occasion, après quatre années de pratique commune supplémentaire, de repartir des fondamentaux du trio pour amorcer un nouveau voyage qui s’avère plus stimulant encore que le précédent.

Donner une suite à un disque est bien évidemment l’occasion de proposer un nouveau répertoire. Pourtant, n’accorder de la valeur à un orchestre que par le seul programme qu’il peut interpréter, c’est toujours donner la primauté à des compositions. En digne héritier d’une histoire du jazz, ORBIT ne se place pas dans cette seule démarche. Avec In-visibilty, il mène plus loin encore une musique qui réinvestit d’une manière approfondie les fondamentaux animant ce groupe et parvient ainsi à dépasser son point de départ.

Ainsi, en complément de la chronique de notre collaboratrice qui fait le tour de la question, que noter de différent dans cette nouvelle référence discographique ? À coup sûr, l’unité. C’est un poncif de le dire, mais la formation joue ici de manière totalement unie dans le sens où les trois musiciens sont en accord sur la perspective générale qui les intéresse. Non seulement chacun est dans une démarche autonome et de prise en charge de la responsabilité de l’ensemble, mais, de surcroît, ces partenaires sont en retour constamment à l’écoute de des propositions communes.

Cette relation à double sens [1] induit une polarisation changeante et une vigilance constante puisque le musicien se doit d’être attentif à de multiples injonctions : être à l’écoute de la validité de son intervention (ce que je dis est-il juste ?), être à l’écoute de la validité de son interprétation en regard du son collectif (si ce que je dis est juste, est-ce valable dans le cadre du projet musical global ?), être à l’écoute, enfin, de ce que disent, distinctement et mutuellement, les partenaires (ce que mes partenaires jouent n’est-il pas plus important que mon propre discours au point que mon retrait leur laisserait la place pour s’exprimer ?). Il faut beaucoup de respect de l’autre et de confiance en soi pour arriver à faire vivre une telle configuration, à coup sûr un savoir-faire important car la route n’est pas tracée et les obstacles nombreux.

Stéphan Oliva, photo Christophe Charpenel

Cependant, en creusant ce sillon, le trio porte à un haut degré d’intensité, plus encore que précédemment, un interplay où s’épanouissent les talents individuels de nos trois musiciens. Désormais en confiance avec le véhicule musical qu’ils ont ainsi créé, ils peuvent être pleinement eux-mêmes en rapport avec les deux autres autant qu’en rapport avec le trio. Comme si le fait d’avoir gagné en assurance permettait, avant tout, de donner un relief supplémentaire à une entreprise orchestrale dont les pièces jouées ne seraient sinon que des parures, aussi réussies soient-elles.

Sur des compositions oniriques et crépusculaires, dont on ne peut que louer l’intelligence et la maturité intellectuelle, on entend un discours qui s’inscrit dans ce que seul le jazz peut produire en matière de corps s’animant dans le vivant de l’interprétation : grâce à l’inter-relationnalité que nous venons d’évoquer, la musique proposée n’est jamais figée (même dans le cadre d’un enregistrement, on perçoit une vitalité qui déborde de partout et offre un potentiel considérable).

L’architecture de ces morceaux nouveaux est même moins apparente que sur le répertoire précédent, voire moins primordiale, puisque les ornements [2] qui la mettent en exergue sont autant de lignes de force qui sont avant tout une mise en mouvement.

L’ornementation ne souligne pas la structure, elle est une condition de la structure. Comme on le dit pour le design « qui est une esthétique industrielle appliquée à la recherche de formes nouvelles et adaptées à leur fonction », le jeu des musiciens est non seulement adapté à la forme, mais il permet aussi de définir la forme. C’est parce que le trio valorise les individualités dans un souci d’autonomie et d’interdépendance que la musique proposée est d’une si grande cohérence, d’une efficacité redoutable et que les compositions peuvent être aussi superbement mises en valeur. Ce choix de l’individualité, où la place de chacun est acquise dans la perspective commune, génère une spatialité neuve où les voix se croisent mais jamais n’empiètent l’une sur l’autre, où le sens de l’ellipse est autant le retrait de tout superflu qu’une trajectoire effectivement orbitale.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 30 avril 2023

[1Chacun est responsable de ce qu’il produit au bénéfice de l’ensemble. Le collectif se doit d’en tenir compte, avec une attention permanente, pour ne pas redoubler un discours déjà proposé.

[2Par ornements, nous entendons tout ce que le musicien propose : la polyrythmie extrêmement dynamique du batteur par exemple.