Chronique

Trois chants de Noël de la maison nato

Les voix d’Itxassou, Deadly Weapons et Joyeux Noël

Label / Distribution : Nato

Pour finir en beauté l’année de ses trente ans, le label nato réédite trois albums marquants de l’histoire du label. Enregistrés entre 1986 en 1989, Les voix d’Itxassou et Deadly Weapons sont deux beaux présents dont la rosette de bolduc est incontestablement le disque Joyeux Noël.

L’esprit potache de nato se retrouve en concentré dans cet Objet Sonore Non Identifié sorti en 1987. Ses illustrations, dues à des amis dessinateurs de BD, lui donnent un ton sarcastique supplémentaire. La nouvelle pochette, revisitée pour l’occasion, et sa révérence farcesque à Kurt Cobain en sont l’exemple.

Joyeux Noël raille une tradition anglo-saxonne chère aux producteurs comme Phil Spector : enregistrer un album de Noël familial et sirupeux avec quelques pseudo-stars finissantes ou dévoyées ; par ailleurs, il rend la fête à ceux à qui elle appartient vraiment : les enfants, Kiki & Nini en tête (le désopilant « All I Want For Christmas Is My Two Front Teeth » de Spike Jones…).

Ni Dieu, ni maître, ni père Noël ? C’est un peu le propos. Ainsi Laura Davis et Tony Hymas enregistrent un « Blue Christmas » sarcastique auquel répondent Steve Beresford et Sandra Tavernier sur une partition so Eighties que n’auraient pas reniée Stock Aitken Waterman [1]. Mais on aurait tort de le réduire à une simple pochade. Le « Drigiling Dron » de Beñat Achiary et Michel Doneda, comme le « Blues Noël » de John Zorn en compagnie de Fred Frith et d’Anthony Coleman, entre autres, sont de jolies perles dans cet éclat de rire…

Il n’est guère surprenant de retrouver Zorn sur le Deadly Weapons de Steve Beresford, en compagnie de David Toop et de l’actrice Tonie Marshall. Le disque aura marqué l’histoire de nato par son originalité et son étrangeté, mais aussi son orientation vers le cinéma. Ainsi, bruitiste et charnelle, la musique de Beresford [2] est la bande-son étrange d’un film noir cynique où samples et les explosions électroniques surprennent par leur modernité et leur à-propos. Dès les premières notes de « Shockproof », on est plongé dans une ambiance interlope et nocturne. Une tension permanente où Zorn pose les jalons d’une musique en pleine évolution (« Jayne Mansfield ») ; la ville n’est pas encore tout à fait nue, mais plus rien ne la recouvre vraiment. Au cœur du trio, Tonie Marshall n’est pas chanteuse mais pleinement actrice : elle traverse l’album en interprétant le rôle principal d’un film sans pellicule, un film aux images fantasmées. Aujourd’hui encore, Deadly Weapons reste un album visionnaire, tant par son approche cinématique que par sa musique sans concessions.

Parmi ces trois rééditions, Les voix d’Itxassou est certainement l’album collectif le plus abouti du label. Parue sous le nom de Tony Coe, qui signe les arrangements et assure la direction d’orchestre, cette œuvre est un hommage aux chants de lutte du monde entier. La dimension politique a toujours été très présente dans l’histoire du label, indissociable de l’histoire du jazz ; de « Bunaventura Durruri » chanté par la soprano Marie Atger à Guevara et cet « Hasta Siempre » célébré par Beñat Achiary, toutes les figures porteuses d’espoir se retrouvent sur ce disque émouvant.

La décision de ressortir Les voix d’Itxassou, enregistré alors que les murs tremblaient à Berlin, l’année des Printemps arabes donne un sens nouveau à la phrase d’Ismaël Kadaré : « Les éveillés vivent ensemble ; ceux qui dorment, séparément ». L’internationale musicale des éveillés d’Itxassou est belle et intemporelle. Elle se trouve des ailes sur les arrangements luxueux de Tony Coe. Le « Bella Ciao » des Piémontaises se pare d’un lyrisme rare, porté par une formation où se croisent entre autres le tromboniste Malcolm Griffiths et le pianiste Tony Hymas, sans jamais virer à la grandiloquence. De même, « N’kosi sikelel’i Afrika », hymne de l’ANC sud-africaine, interprété par Aura Msimang Lewis est digne et solennel… En cette fin des années 80 où l’étiquette World se parait de bons sentiments aux fins d’évangélisation pop des musiques traditionnelles en Occident, ce morceau, ainsi qu’« Ana sefalelku » chanté par Ali Farka Touré, prend un chemin différent - celui du dialogue entre les peuples et leur musiques, dans un but unique : l’émancipation.
Une métaphore, sans doute, des 30 ans de la maison nato…

par Franpi Barriaux // Publié le 30 janvier 2012

[1L’ineffable trio de producteurs de Kylie Minogue, Jason Donovan ou Bananarama. Le talent à l’état pur !

[2Qu’on a pu entendre récemment sur le beau Snodland