Chronique

Amirtha Kidambi’s Elder Ones

New Monuments

Amirtha Kidambi (voc, keyb, elec, fx), Matt Nelson (ss, fx), Lester St. Louis (cello, elec), Eva Lawitts (b, fx), Jason Nazary (d, keyb, elec, fx).

Label / Distribution : We Jazz Records

Sur la brèche. Depuis qu’elle a créé l’orchestre Elder Ones en 2016 qui s’intéressait aussi aux modes indiens ayant nourri sa musique, la chanteuse et activiste Amirtha Kidambi a depuis toujours suivi les vents de révolte et les a traduits en sons et en paroles. Son précédent album, où l’on retrouvait notamment Nick Dunston, débutait par un « Eat The Rich » sans appel ; avec New Monuments, Kidambi a changé son équipe mais pas sa recette : voix caverneuse et transformiste, colère rentrée dans le très beau « Third Space » sur les tueries de masse et prédominance préalable de l’électronique que le batteur Jason Nazary et le violoncelliste Lester St Louis vont peu à peu emmener vers quelque chose de plus organique, alors que la voix, elle, s’envole, trille, va chercher une forme de transe dans une colère devenue extatique. Jamais loin d’une attitude punk revendiquée mais jamais outrancière. Divinement froide.

C’est souvent Nazary qui libère la colère (« The Farmer Song »), mais c’est le fruit d’une progression collective où le saxophone Matt Nelson est souvent le facteur X, l’élément détonateur, s’inscrivant ici aussi dans une longue tradition du free protestataire qu’Elder Ones tangente sans jamais tomber dans les clichés où les hymnes. La basse d’Eva Lawitts, d’une sécheresse bienvenue, tient le corps rock d’Elder Ones, dans une délicieuse fusion rageuse. Il ne s’agit pas de faire table rase du passé. Dans la pâte orchestrale de « The Great Lie », le sommet de l’album, on croise des influences de Don Cherry ou plus près de nous de Matana Roberts. Mais Amirtha Kidambi va davantage chercher dans la grande richesse de sa voix des émotions profondes, que l’électronique magnifie. Qu’elle évoque cet occident aux monuments marqués par le racisme systémique (remarquable illustration de pochette pour un orchestre très impliqué dans les mouvements Black Live Matters) ou la révolte pour les droits des femmes iranienne, Amirtha Kidambi est toujours sur la brèche, attisant la colère sans la rendre factice.

C’est dans l’orchestre Code Girl de Mary Halvorson, où elle contribue directement à l’atmosphère plus pop de la guitariste, que le nom de Kidambi s’est pleinement imposé. Mais cela fait des années, notamment au sein du label Astral Spirits qu’elle agit à l’avant-garde d’une scène étasunienne d’une grande richesse. Ce New Monuments proposé par le label We Jazz est sans doute celui qui la propulsera internationalement sur le devant de la scène, par sa qualité et son énergie.

par Franpi Barriaux // Publié le 26 mai 2024
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