Scènes

Halvorson(gs) enchante le Faucheux

Compte rendu Mary Halvorson Sextet, le 2 octobre 2019, Le Petit Faucheux.


Mary Halvorson Sextet, photo Rémi Angéli

Caisse de résonance d’une certaine modernité jazzistique, le Petit Faucheux invite la guitariste américaine Mary Halvorson et sa formation Code Girl. Première date d’une tournée européenne, elle présente sur scène un nouveau répertoire dans le parfait prolongement du disque paru chez Firehouse 12. Passage en revue d’une musicienne qui se réinvente.

Fraîchement arrivés de New York, quelques heures plus tôt, le groupe a juste le temps de passer à l’hôtel puis se sont les balances, le repas et directement la scène. Si la vie de musicien est bien réglé comme du papier à musique, le tempo requis est parfois des plus exigeants. Mary Halvorson est de tous les regards. D’abord, bien sûr, parce qu’elle est la leadeuse de ce sextet monté l’année dernière et qui a déjà signé un premier disque (Elu dans ces colonnes ), évidemment parce qu’elle est une des personnalités qui a émergé ces dernières années avec le plus fort potentiel de créativité et dont le CV, à l’orée de la quarantaine, pourrait satisfaire plusieurs vies, mais surtout parce que, contradictoirement, son physique discret, sa volonté de s’effacer derrière sa guitare, crée un véritable contraste avec l’assurance avec laquelle elle joue. Un grand écart, et une musique qui ne l’est pas moins.

Mary Halvorson, Michael Formanek, Toma Fujiwara, photo Rémi Angeli

Orchestre paritaire, elle s’entoure de fidèles. Michael Formanek, à la basse, est un solide pilier, tant au niveau de la stature physique que de son jeu. Less is more est sa devise semble-t-il, il n’ajoute jamais rien, chaque note est posée. Il fait le lien avec l’autre proche plus éloquent : Tomas Fujiwara. Batteur, il est celui qui maintient le feu le concert durant. Sans assommer de puissance, avec une intelligence vive, ses propositions nouvelles et son sens de l’écoute en font un personnage central.

Le jeune Adam O’Farrill remplace Ambrose Akinmusire à la trompette. Le son est plein, droit, il trouve naturellement sa place dans l’orchestre dont il n’hésite pas à s’échapper pour quelques interventions calibrées mais justes. Voilà pour les hommes. Pour les femmes, la saxophoniste Maria Grand (ponctuellement vocaliste) est une habitué de ce type de formations où l’écriture tient une large part. Elle a joué avec Steve Coleman sur Synovial Joints ou Morphogenesis. Par ailleurs, et comme un écho à venir de la journée du lendemain, elle s’occupe d’un mouvement américain pour la reconnaissance des femmes dans le jazz (“We Have Voice”). L’autre femme, enfin, n’a pas spécialement besoin de revendiquer sa voix, tant elle la porte avec une puissance jamais envahissante et un éclat parfaitement maîtrisée. Amirtha Kidambi est la découverte de cette soirée. Enthousiaste, lumineuse, elle est la figure de proue de ce projet qu’elle porte superbement.

Amirtha Kidambi, Maria Grand, Adam O’Farrill, photo Rémi Angeli

Car elle est de tous les titres. Le répertoire défendu est, en effet, celui de la chanson dans son sens le plus noble du terme. Mary Halvorson, compositrice des morceaux, arrangeuse mais aussi auteure des paroles, quitte ici le territoire de l’improvisation libre, dans laquelle on l’a entendue de nombreuses fois, pour une partition ouvragée qui ne laisse rien au hasard. Elle ouvre souvent le sillon musical par des tourneries de cordes graciles et entêtantes mais préfère valoriser l’expressivité des climats posés. Le groupe qui la rejoint rapidement donne de l’ampleur à l’ensemble (belle association trompette / saxophone) et traverse des structures charpentées, complexes mais jamais heurtées, amenées par cette voix puissante.

Si, les tonalités suavement acides méritent plusieurs écoutes - ce que n’épuise pas ce seul concert - les regards des musiciens collés à leurs partitions ont sans doute manqué d’un peu de lâcher-prise à cette prestation appliqué. Ne soyons pas trop dur et nuançons la nuance : deux raisons à cela. Mary Halvorson pourrait se contenter de “vendre” le projet de son disque. Or, elle a depuis écrit de nouvelles chansons - ce sont elles que nous entendons qui n’ont encore jamais été trop interprétées. Par ailleurs, le démarrage d’une tournée de plusieurs jours n’a pas permis une installation immédiate dans le confort des habitudes.
Halvorson n’étant pas du genre à mettre le feu à sa guitare après avoir détruit son ampli, il faut aller vers elle mais, en retour, ce déplacement est gage d’une générosité qu’il serait dommage de rater.