Scènes

David Enhco 4tet

Festival Radio-France Montpellier


Photo © Frank Bigotte

Ce lundi 20 juillet a été décrété « Journée génération 1985 » par le Festival. L’occasion d’accueillir le jeune trompettiste David Enhco, et le quartet qui l’accompagne depuis plusieurs années.

On est tout de suite frappé ici par la prestation de Florent Nisse : après l’introduction au piano et le thème de trompette de « Layers », c’est lui qui s’empare du premier solo. Un travail graphique s’opère alors : une esquisse rapide pour commencer, puis sa contrebasse commence à peindre son tableau. Nisse prend le temps de soigner chaque contour, de placer la lumière et de dessiner les ombres d’un décor très musical. Le pianiste Roberto Negro ajoute quelques taches de couleur çà et là, et quand la batterie les rejoint, Nisse a littéralement fait décoller l’image, comme un trompe-l’œil dont on ne prend conscience qu’après un temps.

Le second morceau, « Tranquille », est une de ses compositions. Negro y joue un chorus très épars au cours duquel il disperse d’autres taches de couleur - dans la continuité logique du morceau précédent - très éloignées les unes des autres. Toute la place qu’il laisse autour de lui est d’abord observée, et respectée, par les autres. Une fois comprise, elle est très progressivement gagnée, occupée. L’accompagnement basse-batterie est, lui aussi, très coloriste ; le batteur Gautier Garrigue a un jeu fin et léger et ne laisse passer aucune intention du pianiste sans la reprendre ou la soutenir. Suit une tension modale qui accueille bientôt un puissant solo de trompette.

David Enhco est issu de la célèbre famille de musiciens classiques Casadesus. Comme son pianiste de frère Thomas, il a décidé d’aller vers le jazz, mais on entend ses racines classiques dans son son ou le lyrisme de ses phrases. Mais il est aussi capable de sortir de ses gonds et de transformer son énergie en quelque chose de brutal, de viscéral. Le son est sali, les phrases brûlent, la souffrance habite le discours puis s’apaise. Dans ses lignes et dans sa fougue, on entend un appel à Freddie Hubbard qui, finalement, contaminera tout le quartet. Dans cet élan, le thème de sortie sonne comme une chaleur rassurante, puis la ponctuation est donnée par le batteur, qui imite un delay sur sa cymbale en guise de points de suspension.

Gautier Garrigue et David Enhco ont en commun une même malléabilité du son. Le second peut avoir un son large et puissant même dans la douceur, en allant jusqu’à des timbres acides et des lignes tranchantes qui marquent un vrai clivage. Le premier, lui, semble obsédé par la nuance. Chirurgien de la maîtrise du son dans sa façon de frapper les peaux ou d’arrêter sa ride, la technique, chez lui, n’empiète jamais sur la musicalité ; il utilise son instrument à 200% pour exprimer le plus grande variété de sonorités possibles.

Nombre de pièces seront ce soir-là signées Roberto Negro. La géométrie très progressive, très évolutive de « Chanson 1 » pose en ouverture une atmosphère circassienne en jouant sur les variations de tempo. Absorbé par le solo de Negro, comme happé par lui, Nisse a pratiquement la tête dans le piano. Puis le cirque se transforme en marche funèbre pour soutenir le solo de trompette. La tension monte, lentement, imperceptiblement.

David Enhco attendra le dernier morceau pour souffler dans le bugle posé à ses pieds depuis le début du concert. Toujours préoccupé par la mélodie, il le fait danser en douceur et en souplesse, comme un chat sur une gouttière.
En rappel, le quartet jouera « Silence », en hommage à Charlie Haden, disparu l’été dernier. Là encore, sa façon de monter, de transformer l’énergie est très lente et sinueuse, progressive, mais ne manque pas un instant de détermination.