
Den Andre Festivalen à Oslo 🇳🇴
Bande à part franco-norvégienne, cinquième édition.
C’est à la détermination d’un collectif de musicien·ne·s français·e·s et norvégien·e·s, qu’on doit la naissance de ce festival il y a 5 ans. Un pont entre deux pays et deux scènes culturelles qui partagent une même vision des musiques improvisées, avant-gardistes, électroniques et folk. Ce collectif binational a d’ailleurs deux noms : L’Autre Collectif / Det Andre Kollektivet. Avec un pied à Oslo et un autre en France entre Chalon-sur-Saône et Paris, selon les lieux de vie de ses membres, L’Autre Festival est l’occasion de présenter les groupes du collectif et d’inviter les artistes qui les inspirent.
Puisqu’il soutient la création, le festival réunit les membres du collectif dans un orchestre inédit autour d’une musicienne ou musicien « fil rouge ». Cet ensemble propose chaque année une création originale. Après la pianiste Eve Risser en 2021, l’accordéoniste norvégien Kalle Moberg en 2022, le pianiste canadien Matt Choboter en 2023, cette année c’est la flûtiste et compositrice Fanny Ménégoz qui est conviée. Cette édition est proposée dans deux lieux culturels atypiques, Kruttverket et le Mausolée Emmanuel Vigeland, qui forgent son identité originale, hors des lieux de concerts habituels de la capitale. Deux soirées et une matinée au cours desquelles la musique improvisée s’est accordée aux éléments naturels pour donner lieu à de belles éclosions artistiques.
Deux jours de musiques improvisées et de rencontres, cela crée de l’enthousiasme. Le festival bénéficie en outre de la douceur de l’été indien et de sa lumière propice au lieu que L’Autre Collectif a choisi pour base.
- Astrid Garmo et Michaela Antalova © Den Andre Festivalen 5
Kruttverket est une ancienne usine réhabilitée située le long de la rivière Alna. Tournée vers la population locale, car située en périphérie et non au centre d’Oslo, elle est ouverte aux initiatives. La gestionnaire du lieu, Danee, qui l’a conçu avec des amis voici trois ans, est connue pour son sens de l’accueil. Aussi Sigrid Aftret, qui présente le collectif, n’oublie pas de la remercier chaudement d’avoir permis aux musicien·ne·s de disposer du lieu pour y travailler. Déjà investi régulièrement les dimanches pour des jams et des concerts du collectif, c’est en toute logique que le festival y est proposé.
Le bruit de la cascade toute proche nous charme tandis que la chaleur du soleil couchant traverse les fenêtres de la grande salle où des dizaines de personnes attendent le premier concert. Celui du quartet Evidence. On y entend Sol Léna-Schroll (saxophone) et Joel Ring (violoncelle), déjà vus ensemble au sein du quintet Bêl. Le saxophoniste l’avoue avec humour : « L’avenir du groupe repose clairement sur ce concert car… c’est notre véritable premier concert ! ». La musique comme un jeu. Derrière l’humour, on sait que ces musiciens n’en sont pas à leur galop d’essai. Les compositions s’assouplissent vite. Le duo que la saxophoniste forme avec Jørgen Bjelkerud au trombone (qui brille au sein du quintet Dafnie d’Amalie Dahl) est la belle locomotive harmonique de ce groupe qui, de toute évidence, va poursuivre son chemin.
Le duo d’Astrid Garmo, multi-instrumentiste, et de la batteuse Michaela Antalová, nous mène un peu plus loin dans l’expérimentation. La première change d’instruments, cumule les sons et les samples, créant des drones aux accents punk, au violon d’abord, puis au langeleik, une cithare norvégienne jouée depuis le XVIe siècle, et enfin à la guitare électrique et au chant. Les harmonies se recouvrent et brouillent les époques. Antalová démontre tout au long du set une inventivité haletante, troquant ses balais pour des maillets et une frappe lourde, ou battant les peaux à mains nues. Le dépouillement du duo touche et réveille les sens.
- Magnolia © Den Andre Festivalen 5
Le plus beau concert de cette première soirée est celui du quartet Magnolia. À la trompette, Hector Léna-Schroll assume son rôle de soliste en ne saturant pas l’espace sonore, évoquant le célèbre « In music, silence is more important than sound » de Miles à qui il est difficile de ne pas penser. Il construit savamment une tension mélodique, par vagues parfois longuement interrompues, couplée à la pulsation lente mais tenue de Clément Mérienne au piano. Celui-ci intervient sur le son brut du piano droit dont il joue d’une main tandis que, de l’autre, il injecte des modulations électroniques et des extraits de l’album. Élégance, panache et force. Les morceaux de leur nouvel album s’ouvrent en corolle avec maîtrise. Le batteur Émile Rameau assène quelques changements rythmiques explosifs en diable qui font sursauter l’auditoire et briller des sourires dans l’obscurité.
Le lendemain matin, le festival se poursuit sur les hauteurs de la ville dans un lieu propice à l’introspection, le Musée et mausolée Emanuel Vigeland. Le petit frère de l’illustre Gustav Vigeland, possède, lui aussi, son lieu à Oslo, aussi fascinant par sa beauté que par sa morbidité. L’artiste peintre et sculpteur l’a construit en 1926. Des scènes de vie (naissance, accouchement, scènes érotiques) et de mort dans toute leur force et leur crudité y sont représentées sur plus de 800 m2 de fresque qui recouvrent les murs sans fenêtre ni ouverture. Mais on ne les voit pas d’emblée. Quand on pénètre dans le lieu, il faut de longues minutes pour s’habituer à la pénombre et voir apparaître les détails des peintures, éclairées par quelques lampes disposées le long des murs.
- Sigrid Aftret - Emanuel Vigeland Mausoleum © Anne Yven
Un concert « surprise » y est proposé par Sigrid Aftret (saxophone ténor, flûte), Clément Mérienne (claviers), Sol Léna-Schroll (saxophone alto) et Hector Léna-Schroll (trompette). Les soufflants s’écoutent et se passent la balle, lentement, emplissant l’atmosphère écrasante du lieu. Ils doivent aussi jouer avec son acoustique difficile car cette cavité de pierre et de ciment donne à chaque son une longue réverbération. Il faut être intrépide pour s’emparer d’un solo. Celui qui s’en amuse le plus est peut-être le trompettiste qui perce les couches sonores avec une chaleur bienvenue, jouant avec son propre écho. Il me confie à l’issue du concert : « Avec cette acoustique, on a l’impression de jouer avec quelque d’autre… ou un autre soi-même, différent de 15 secondes ». Mérienne réintègre au son acoustique, par touches subtiles, les extraits enregistrés, dernière couche surnaturelle à ce set rondement mené. On sort sonné mais ragaillardi. Un soleil aveuglant nous accueille à la sortie de l’édifice, qui se fait par une porte basse au-dessus de laquelle trône l’urne contenant les cendres de Vigeland.
« Le clou de la seconde soirée » est bien sûr le concert du collectif et de la marraine de l’édition, Fanny Ménégoz, qu’on retrouve sur scène avec l’ensemble. Pour la musicienne, membre de l’ONJ, il a été question de partager des idées et de leur donner vie ensemble au cours de plusieurs journées de travail plus que d’écrire et diriger. Sur scène, trois Norvégiens et cinq Français dont elle-même creusent leur nouveau sillon dans la lignée des musiques porteuses d’hymnes et de mélodies populaires, avec une structure très libre et contemporaine, à l’image de la musique du quartet Nobi.
- Fanny Menegoz et les musiciens de L’Autre Collectif © Anne Yven
Portées par la belle double voix du violoncelle et de la basse des Norvégien·ne·s Andrine Dyblie Erdal et Henrik Sandstad Dalen, les compositions tournoient, vivifiantes de candeur. En apparence seulement, car avec cette flûtiste, force vive du Healing Orchestra de Paul Wacrenier, on est toujours du côté des musiques qui revendiquent. Ménégoz expliquait précédemment dans nos colonnes : « ma démarche repose sur ma perception du monde, ce qu’il fait résonner chez moi et comment je le traduis musicalement ». Pas question de jouer les chefs d’orchestre isolés, elle explique que les compositions, auxquelles tous ont pris part, ont été inspirées par les quatre éléments, la terre (« Un pas sur la terre »), l’eau (« Pensées liquides »), l’air (« Le Battement de ses jambes ») et le feu (« Entre deux roches »). Il est important de se soucier de l’essentiel.
La démarche globale de Fanny Ménégoz résonne parfaitement avec chaque concert de ces deux jours appréciés par un public très franco-norvégien, mais aussi constitué de nombreux·se·s musicien·ne·s de la jeune scène jazz scandinave venu·e·s soutenir et découvrir les explorations proposées par L’Autre Collectif. Le prochain chapitre de « Leur » Autre festival s’écrit en France, puisqu’un 6e festival a eu lieu dans la foulée, les 20 et 21 septembre 2024 à Montreuil. Rendez-vous en 2025 pour connaître la prochaine direction musicale de ce projet qu’on souhaite voir grandir.