Gordon News
A la découverte de la musique de Gordon Grdina.
L’année 2020 aura été une année faste pour le guitariste et oudiste canadien Gordon Grdina. A défaut des concerts et des tournées prévues, il a sorti quatre albums sous son nom, dans diverses configurations qui permettent d’appréhender un peu mieux sa musique encore méconnue. Tour d’horizon chronologique.
Début janvier, sortait l’album Nomad enregistré en trio [1] sur le label américain Skirl Records. Ici c’est avec le batteur Jim Black et le pianiste Matt Mitchell qu’il forme ce trio acrobatique. Sur de longues compositions du guitariste (on est proche de la dizaine de minutes à chaque fois), la musique s’ébroue et s’affole à rythme régulier dans une grande débauche d’énergie. Jim Black, déchaîné, instille une pulsation démoniaque de sa frappe lourde et sèche. Grdina enchaîne de généreux soli avec une ardente retenue. Quant à Mitchell, il irradie : tantôt accompagnant, tantôt menant la danse, son piano musclé et épileptique maintient une tension sourde et permanente tout au long de l’album. Son entente avec le canadien (aussi bien dans de foisonnants unissons que dans des contre chants pyromanes) est une grande réussite.
Au printemps c’est Safar-e-Daroon [2] qui sortait sur le fidèle label canadien Songline Records [3]. Enregistré avec son groupe The Marrow soit Josh Zubot au violon, Hank Roberts au violoncelle, Mark Helias à la contrebasse et Hamin Honari aux percussions, Grdina y joue uniquement de l’oud. A des métriques et des modes empruntés aux musiques perses et arabes (la musique peut faire penser aux expérimentations de John Zorn autour de la musique juive), le groupe insuffle énergie et liberté issues des musiques improvisées. Cela donne un disque magnifique où tradition et modernité se télescopent dans un maelstrom intense et habité que chaque musicien honore de sa sensibilité propre.
Autre groupe, autre ambiance avec Resist du Gordon Grdina Septet sorti, lui aussi, au printemps chez Irabbagast Records, le label de Jon Irabagon. On retrouve d’anciens compagnons de route du guitariste, Tommy Babin et Kenton Loewen ainsi que les cordistes Jesse Zubot (violon), Eyvind Kang (alto) et Peggy Lee (violoncelle). Jon Irabagon et ses saxophones trônent en majesté au milieu de ce tumulte contestataire. Enchevêtrement de cordes, jeux de miroirs, ellipses, chuintements, cris et borborygmes, éruption volcanique, tels sont les éléments de cette passionnante suite où le guitariste (qui s’efface ici devant le compositeur) construit des ponts entre les musiques, se jouant des frontières et du qu’en dira-t-on : musique moyenne orientale, free jazz décomplexé, musique contemporaine, tradition classique européenne. Une manière pour lui de résister aux standardisations à l’œuvre dans nos sociétés somme toute de plus en plus identiques et normées.
On termine ce voyage en compagnie de Gordon Grdina avec l’album Prior Street sorti à l’été 2020. Autoproduit, sorti en numérique seulement, il donne à entendre le guitariste en solo à la fois à la guitare et à l’oud. Phrasé impeccable, précision rythmique, toucher intense et délicat, harmonies enveloppantes ; on écoute Grdina nous raconter ses histoires, son histoire avec beaucoup d’intensité et de délicatesse. On est sous le charme.
Et pour être tout à fait complet, Gordon Grdina apparaît, en cette fin d’année, sur deux autres albums en tant que sideman : The Purity of Desire d’Ivo Perelman avec le percussioniste déjà cité Hamin Honari. L’album sort chez Not Two Records. Et Recoder du François Houle Quartet avec Mark Helias et Gerry Hemingway, sorti chez Songline Records en août dernier.