Scènes

Le Pannonica fête ses 20 ans

L’Orphicube d’Alban Darche et l’ONJ Olivier Benoit


Photo Michael Parque

1200 personnes ont répondu à l’appel pour fêter les vingt ans du Pannonica le 18 juin 2015 à la Cité des Congrès de Nantes. Vingt ans durant lesquels bon nombre des musiciens français et internationaux ont honoré le jazz et les musiques improvisées pour les oreilles curieuses et avides de nouveauté.

Vingt ans - le bel âge, dit-on. L’architecture circulaire du bâtiment où le club s’est délocalisé pour l’occasion prend des allures d’énorme gâteau. Si le jazz est capable de rassembler autant de monde avec des formations contemporaines, c’est certainement grâce au travail quotidien des acteurs qui ont permis, au fil des ans, l’implantation durable d’une scène vivante sur la place nantaise. Ainsi dans le prolongement du Pannonica, neuf salles de l’agglomération se réunissent depuis neuf ans pour mutualiser des projets d’envergure qu’elles ne pourraient porter sur leurs seules épaules : Jazz en Phase fait découvrir au plus grand nombre des artistes starifiés (Wayne Shorter il y a deux ans, John Scofield et Bill Frisell cette année) ou plus confidentiels (on se rappelle du beau duo de Stéphane Kerecki et John Taylor, récemment décédé). Dans ce cadre, l’expérience et l’expertise du club sont un apport de taille, et le double plateau présenté symbolise bien la pertinence de l’action menée sur le terrain.

Alban Darche est l’enfant du pays puisque, comme il le dit, il a habité une commune de la métropole qui lui a inspiré une danse (« La Bouguenaisienne »). Il est ce soir accompagné de son Orphicube, qui compte des musiciens de la région qui ont depuis longtemps acquis une renommée nationale et internationale. Les Pays de la Loire sont leur pied-à-terre, le Pannonica a été leur centre de formation. L’orchestre compte dans ses rangs les Ligériens Sébastien Boisseau, Matthieu Donarier, François Ripoche, auxquels s’ajoutent Christophe Lavergne, Sylvain Rifflet et plus récemment Marie-Violaine Cadoret (violon), Nathalie Darche (piano) et Didier Ithursarry (accordéon).

Alban Darche, photo Michaël Parque

La grande majorité du public, plus familière de la Folle Journée (consacrée à la musique classique au mois de février), y a certainement retrouvé ses habitudes d’écoute tant la partition fleure bon un certain classicisme “à la française” - délicieusement chamboulé par des interventions solistes stimulantes et calibrées. La richesse harmonique des mélodies posées sur des constructions savantes et présentées par un Darche plein d’humour font passer sans mal les problèmes d’acoustique : le son se noie dans l’immensité du lieu et il faut pénétrer plus avant dans le concert pour enfin s’y sentir pleinement à son aise. Le répertoire, celui de Perception instantanée, est agrémenté d’une nouvelle composition fraîchement sorti du cerveau créatif du leader qui, pour la peine, s’essaie au sopranino.

C’est ensuite au tour de l’Orchestre National de Jazz qui, vitrine de la vitalité française, présente un programme d’accès moins immédiat. Deuxième répertoire sous la direction d’Olivier Benoit, Berlin fait suite à Paris en attendant Roma. Une fois de plus, c’est l’occasion de constater cette formation est une véritable machine. Et quelle machine !

Un mot de la scénographie. Un bataillon de soufflants (Dousteyssier, Grimal, Mayot, Martinez, Fourneyron) fait face à une section rythmique compacte : Echampard, Benoit, Brousseau, auxquels s’ajoute Sylvain Daniel en remplacement de Bruno Chevillon. Doublement capé, puisqu’il participait déjà à l’ONJ de Daniel Yvinec, le bassiste, par ailleurs membre du trio de free metal Killing Spree, apporte un solide bagage rock. Les deux lignes se rejoignent en fond de scène autour du piano de Sophie Agnel (articulation harmonico-ryhtmique) et du violon fougueux de Théo Ceccaldi. La scène est nue ; en fond, quatre colonnes de néons s’allument ou s’éteignent au gré des fluctuations. Vanessa Court, visible derrière les musiciens, veille au son.

Olivier Benoit, photo Michaël Parque

Loin de pervertir la musique, le sobre raffinement de cette scénographie valorise ses aspects les plus modernistes, à la fois toniques et austères. Comme l’indique le nom des répertoires, on évolue dans une esthétique urbaine. Les rythmiques y sont dures et répétitives (on pense à Steve Reich) et des motifs brefs, multipliés et entrelacés, produisent un maillage resserré sur lequel s’appuient non seulement les interventions des solistes mais aussi les arrangements.

Là encore, le début du concert se fait à tâtons, et malgré tous ses efforts, Fidel Fourneyron a du mal à se positionner par rapport au groupe. Il faut attendre l’intervention d’Alexandra Grimal pour remettre les choses dans le bon sens et dégager la voie. Son solo fulgurant fait décoller l’ensemble, poussé par la frappe hyperprécise du batteur (placé sur le devant). La suite parvient alors à développer un discours homogène, tout en échos et rappels d’une pièce à l’autre et qui, dans le même temps, ouvre des espaces au sein desquels les musiciens s’expriment avec volupté et chaleur (belle prise de parole de Fabrice Martinez, notamment).

Si on regrette quelques longueurs sur la fin, les morceaux lents laissent tout le loisir de pénétrer dans une architecture sonore solide et magistralement amenée. Vingt ans donc, et le cadeau est largement à la hauteur de l’événement.