Scènes

Au cœur de la machine ONJ

L’Orchestre National de Jazz et Steve Lehman jouaient au Petit Faucheux.


L’ONJ, photo Rémi Angéli

Jeudi 16 novembre, le Petit Faucheux reçoit l’Orchestre National de Jazz et Steve Lehman venus présenter le programme Ex Machina. Les musiciens sont aussi serrés sur scène que le public dans la salle remplie. Ils vont dérouler pendant une heure une interprétation réussie du disque et montrer la pertinence non seulement d’un orchestre tel que celui-ci, mais également l’importance d’une création contemporaine.

Sylvain Elie, directeur du Petit Faucheux, monte sur scène pour annoncer l’orchestre. Il connaît le sujet : il en a été le responsable de production et de diffusion sous le mandat d’Olivier Benoit et en partie sous celui de Frédéric Maurin, le chef actuel. Il rappelle l’importance d’un tel orchestre que le monde nous envie, à la fois vitrine du jazz français et également laboratoire d’une création audacieuse et nécessaire. Pourtant, ce nouveau programme n’a pas eu l’heur de trop séduire les programmateurs. L’Espace Sorano de Vincennes, le festival Jazzdor de Strasbourg et Tours, rien d’autre. La créativité ferait-elle peur ?

Pas à la programmation du Petit Faucheux, semble-t-il, qui initie là un nouveau dispositif. Recevoir des formations d’importance (par la taille ou la notoriété) sur une double soirée afin de donner à tous la possibilité d’assister aux concerts. L’ONJ sera également présent le vendredi 17.

Pour l’heure, les musicien·ne·s s’installent. Le dispositif est le même qu’à Jazzdor. Basse (Sarah Murcia), batterie (Rafaël Koerner) au centre et au fond, le piano (Bruno Ruder) devant : pouls central de la machine. Les deux vibraphones (Stéphan Caracci et Chris Dingman) sur la gauche face au public, de même que le logiciel Diyc2 activé par Serge Lemouton en remplacement de Jérôme Nika pour la partie nébuleuse de l’architecture sonore. Pour la partie nerveuse : les soufflant·e·s sont à droite : trombones (Christiane Bopp et Daniel Zimmermann), trompettes (Jonathan Finlayson et Fabien Norbert) et tuba (Fanny Meteier) puis flûte et clarinette (Fanny Ménégoz et Catherine Delaunay) et enfin les saxophones (Steve Lehman, Julien Soro, Fabien Debellefontaine).

Tout cela fait du beau monde et cette répartition en trois gros blocs promet un son compact mais lisible ; et une musique sur le vif puisqu’à la complexité de la partition s’ajoute un nouveau défi : l’absence du chef d’orchestre Frédéric Maurin, retenu à son corps défendant dans sa chambre d’hôtel par quelques microbes lui tenant compagnie.

Serge Lemouton et Stéphan Caracci © Rémi Angéli

Phénomène à noter. Nous avons chroniqué le disque () et, pour ce faire, de nombreuses fois, écouté. Nous avons vu l’orchestre la semaine précédente à Strasbourg (ici). C’est pourtant certainement ce soir que nous pénétrons au mieux dans le travail d’arrangement. De l’importance d’insister.

L’absence de chef induit immédiatement une vigilance supplémentaire de la part des musiciens qui jouent avec la précision attendue, mais avec un coulé dans l’anticipation qui rend le programme magnétique. Le son est ce soir chaleureux, bien structuré, parfaitement compréhensible. Le groove décalé qu’injecte en permanence la partie rythmique (Sarah Murcia assoit une fois de plus une basse boisée et abondante) génère une pulsation qui attise l’ensemble. Peuvent se rajouter ensuite des vibraphones et percussions instables, éthérés et étranges qui créent une toile de fond vibrante et fantomatique.

À intervalles réguliers, le logiciel interagit avec certains solistes. Avec plus de finesse qu’à Strasbourg, explorant des potentialités plus détaillées, on entend des phénomènes d’échos, voire de miroir, des reprises inversées, des bifurcations schizophrènes entre, par exemple, le saxophone de Lehman, à l’articulation sans faille, et l’ordinateur.

Jonathan Finlayson © Rémi Angéli

Ce sont cependant les pupitres des soufflants qui attirent l’attention. Autant en tutti, gros dispositif qui taille dans le dur un son compact, que dans une configuration changeante : trio ou duo, les possibles sont nombreux et provoquent des effets de mise en abyme ou d’accélération ; un spectacle aussi pour les yeux, qui s’évertuent à saisir qui joue. Se détache, cette fois, le tuba de Fanny Meteier qui, sans prendre la lumière, plante des notes précises et musclées, jalonnant le parcours de l’orchestre comme autant de repères à sa pérégrination.

L’orchestre met en mouvement une série de tableaux, des édifices sonores dans lesquels on plonge et qui glissent de l’un à l’autre. On retient des phrases liminaires et accrocheuses qui servent de fil rouge à la pièce en cours et se développent progressivement. En une heure de programme, c’est un monde contemporain et fascinant qu’il nous est donné d’entendre, avec un surplus d’intensité issue de la scène. Le travail de seize personnes, des techniciens et d’un chef compositeur (hélas absent et pourtant présent dans chaque partition) construisant ensemble une œuvre novatrice devant un public attentif a toujours quelques chose d’émouvant.