Chronique

Laura Schuler Quartet

Metamorphosis

Laura Schuler (vln), Hans-Peter Pfammatter (cla), Philipp Gropper (ts), Lionel Friedli (dms)

Label / Distribution : Veto Records

Remarquée depuis quelques années tant en solo que dans un orchestre avec son frère Luzius au piano, la violoniste Laura Schuler [1] est promise depuis longtemps à de grandes choses. Déjà avec Elements and Songs, nous parlions d’étrangeté, de poésie et de temps nécessaire à ce que sa musique gagne en nuance et souplesse ce qu’elle abandonnerait en démonstration. Le temps est peut-être venu que la chrysalide devienne papillon ; un papillon sombre et certainement nocturne, mais indubitablement gracieux. C’est le sujet de Metamorphosis, son premier album avec son quartet, et son violon nous accroche l’âme et l’oreille, tout en laissant beaucoup de place à ses compagnons. Dans le tortueux et pourtant très ample « Dancing in The Stratosphere », ce sont les claviers de Hans-Peter Pfammatter qui tracent une ligne sinueuse mais directe, forte d’un ostinato entêtant qui nous porte aux nues. Laura Schuler, elle, joue à chat avec le saxophone ténor de Philipp Gropper, leader de Philm, un coutumier de Christian Lillinger.

Laura Schuler pose à merveille son univers, et sa lente entrée dans « Metamorphosis » se teinte d’un chambrisme mâtiné de Schoenberg qui nous est aussi familier qu’à elle. Pour son solo, elle s’était servie du Yi-King pour indiquer une direction, baguenauder dans l’imprévisible. Ici, elle bâtit un univers dont elle connaît l’issue. C’est un sous-bois frais et légèrement inquiétant qu’on traverse à petits pas dans la neige sur « Broken Lines » : la violoniste peut parfois donner l’impression qu’elle est seule, mais la frappe ouatée de Lionel Friedli nous rappelle que la moindre ombre peut sembler inquiétante ou installer une rêverie.

Laura Schuler s’est entourée de la paire Pfammatter/Friedli qui faisait déjà merveille dans Le Pot de Manuel Mengis. Au-delà de la cohésion, cela indique que Schuler s’inscrit dans un courant créatif qui marque le jazz helvète depuis de nombreuses années. Lorsque le violon s’effeuille délicatement, il laisse place à une mécanique solide, implacable, mais qui n’écrase rien sur son passage. Même le saxophone, soudain plus colérique, est tempéré par les interventions de Pfammatter qui pose une rythmique comme on pose des jalons. Un chemin fait pour serpenter, pour musarder sans se préoccuper du crépuscule se répandant comme l’encre au contact de l’eau.

On songe souvent aux atmosphères de Vespertine, cet album de Björk où l’on retrouvait Zeena Parkins et les arrangements de cordes de Vince Mendoza. La voix n’est pas là, mais il y a la même fraîcheur, le même naturel jusque dans la complexité morcelée de « Ballad For The Unborn » où le sens du détail de Friedli fait merveille, notamment lorsqu’il s’agit d’imprimer le mouvement de Gropper, qui peut parfois laisser sa place à Tony Malaby sur scène. Le grand talent de Laura Schuler consiste à économiser ses gestes et sa volubilité. Il n’y a jamais une intervention qui ne soit pesée et mesurée, même lorsqu’il s’agit de disséminer des pièges subtils pour que l’archet se confonde avec le saxophone. Paru chez Veto Records qui renoue ainsi avec le clair-obscur, Metamorphosis est bien le disque qu’on pressentait chez la jeune Bernoise. Et peut-être un peu plus encore, c’est dire à quel point l’enthousiasme est réel !

par Franpi Barriaux // Publié le 27 septembre 2020
P.-S. :

[1Voir notre interview.