Scènes

Marathon Zorn : plus vite, plus lourd, plus fort

John Zorn joue son Bagatelle Marathon au festival des 5 Continents de Marseille


Etape marseillaise pour le barnum de John Zorn en ce dernier jour de canicule. Le Palais Longchamp accueille son Grand Œuvre du moment : le Bagatelle Marathon. La règle est simple : 12 formations issues de la galaxie zornienne, 20 minutes par groupe, 4 heures de musique.

La bagatelle est une forme musicale dans un style léger. Chez John Zorn, elle est mise à mal. Le public aura vu sur scène un large florilège de son répertoire. Le New-yorkais régalera certes encore son monde avec ses groupes procurant plaisir et enthousiasme immédiat : Masada, Mary Halvorson Quartet, Nova Quartet ou bien le duo Gyan Riley et Julian Lage. Mais il les alternera dans un savant numéro d’équilibriste avec des formations aux partitions contemporaines ou aux sonorités grassement ancrées dans le Métal. Après avoir excellé dans le collage et le zapping au sein d’un même morceau ou d’un même disque, il prolonge sur scène l’approche initiée avec le Book of Angels : un large ensemble de pièces composées pour des formations aux horizons très divers. Ce que propose d’une certaine manière ce Marathon, avec une majorité des groupes sollicités pour enregistrer ce répertoire.

Et pourtant, dès les premières notes de Masada, c’est plutôt le début d’un long sprint. Tous les musiciens ou presque exécutent avec maestria leur set sur un tempo d’enfer, certains laissant parfois penser à un supplicié remontant en sens inverse un escalator sans fin. Ces excès de virtuosité auront réussi tout au long de cette épreuve d’endurance à sublimer les compositions et à faire décoller la musique par leurs envolées lyriques. Peter Evans, dernier musicien sur scène avant l’arrivée surprise de Marc Ribot, aura soulevé l’enthousiasme du public. Sa maîtrise du souffle continu est déjà en soi une prouesse. Mais que dire alors de son débit galopant qui aurait laissé sur le carreau plus d’un trompettiste à l’ère du bebop ?

Bagatelle Marathon par Christophe Charpenel

Dans cette même veine, Zorn a recruté dans son écurie quelques monstres à la batterie pour laisser souffler Joey Baron. John Medeski en aura fait les frais, n’ayant ni l’espace, ni le temps, de laisser se gonfler et s’épaissir les nappes d’orgue entre les martèlements et les coups de semonce de son comparse batteur. Marc Ribot fera lui aussi la course avec, derrière les fûts, le même type d’énergumène. Il s’en tirera avec les honneurs. John Zorn pourrait ainsi faire sienne la devise olympique, à quelques digressions près. Ça joue vite, très vite. Ça joue lourd, très lourd. Ça joue fort, trop fort. Si le recours et les emprunts au Métal ont ponctué nombre de projets de Zorn, la présence de ce dernier au saxophone menait justement les compositions à l’incandescence. Sa sonorité perçante et hurlante tissait un fil d’Ariane permettant au néophyte et au plus frileux de s’accrocher. Son absence ce soir rend la lecture et l’appréciation de ces pièces plus difficiles. Il manque ostensiblement l’étincelle pour mettre le feu aux poudres. Beaucoup de furie, un déluge de décibels, les fans inconditionnels auront apprécié.

John Zorn ne se produira qu’avec Masada, puis, en Monsieur Loyal survitaminé, il animera la suite des festivités. Les groupes défilent, chacun attendant son tour sur le bord de scène comme une audition de fin d’année d’école de musique. Et pourtant, Zorn joue toujours du saxophone de manière sidérante. En 20 minutes de prestation avec son fabuleux quartet, il déroulera un condensé de son savoir-faire sur l’instrument et laissera toujours bouche bée par sa folle maîtrise et son inventivité sans cesse renouvelée.