Orchestra Nazionale Della Luna
Selene’s View
Kari Ikonen (p, Moog synth), Manuel Hermia (s, fl, bansuri), Sébastien Boisseau (b), Teun Verbruggen (d)
Label / Distribution : BMC Records
Ce troisième album de l’Orchestra Nazionale Della Luna, publié par BMC conjointement à Igloo Records, est à la fois une source d’agréables découvertes sonores et le témoignage d’aspects sociétaux controversés. Car les quatre musiciens ont un but précis empreint de générosité, élever leur musique à une dimension philosophique.
Succédant au poétique There’s Still Life On Earth, Selene’s View plonge dans un labyrinthe où technologie et enjeux planétaires font bon ménage. « Fragmentos del Silencio », issu d’arrangements écrits par Kari Ikonen pour l’arrangement d’un vieux tango argentin, se dévoile comme une œuvre picturale de Francisco de Goya, une série de ruptures stylistiques habite littéralement cette composition qui ouvre l’album. « Doubt Factory » permet de savourer l’étendue musicale de Sébastien Boisseau au sein de l’ambiance cinématographique qui se dégage progressivement de la mélodie. Cela rappelle l’intérêt porté par le contrebassiste lorsqu’il composa une musique pour le film muet de 1926 de Teinosuke Kinugasa, Une page folle, il apparait ici comme un habile scénariste. Son acuité rythmique amplifie l’inquiétude développée dans cette composition qui évoque le conditionnement des masses sujettes aux fake news et au doute qui en découle.
Les volutes de synthétiseur qui imprègnent « Data Lake » font écho à l’avalanche d’informations numériques émergeant quotidiennement des réseaux sociaux ainsi que des appareils connectés, pour quel but ? Habilement construit, ce morceau évoque en un effet miroir le poème Le Lac tiré des Méditations poétiques d’Alphonse de Lamartine, le saxophone plaintif de Manuel Hermia devient le porte-parole d’une inlassable insatisfaction. Ce saxophoniste irradie la partition et il expose parfaitement sa façon d’unir la musique modale indienne et la musique tonale, en un système qu’il a dénommé Rajazz. La mélodie mordante qui s’installe graduellement dans « Transience », où piano et saxophone se livrent à une joute des plus toniques, affiche plus de classicisme, le passé du jazz se réanime sous l’impulsion rythmique de Teun Verbruggen, toujours impérieux.
Les contrastes saisissants entre les envolées du synthétiseur Moog et le plus ancien instrument de musique de l’Inde du nord, la flûte bansouri, apportent des couleurs éclatantes et divergentes à Selene’s View, référence à Séléné, Déesse de la lune. Vu de cet astre, c’est bien la terre avec ses dérives politiques, écologiques, migratoires et technologiques qui devient le vecteur de ce disque où la vitalité de l’humanité est célébrée par quatre virtuoses.