Chronique

Steve Lacy

Solos, Duos, Trios

Steve Lacy (ss), Mal Waldron (p), Bobby Few (p), Jean-Jacques Avenel (b), Dennis Charles (dm), Oliver Johnson (dm)

Label / Distribution : Soul Note

Steve Lacy fut un musicien solitaire. Mais un solitaire qui joua avec nombre d’autres musiciens parmi les plus grands - Thelonious Monk, Cecil Taylor, Jimmy Giuffre, Paul Bley, Gil Evans et tant d’autres. Et qui joua, en 2003, devant 25 000 personnes au cours d’un rassemblement à Boston, organisé pour protester contre l’invasion de l’Irak. Pourtant, il faut se souvenir que Steve Lacy fut toujours un musicien solitaire.

Les labels Black Saint et Soul Note rééditent aujourd’hui en un coffret ses solos, duos et trios : Only Monk et More Monk pour les premiers, Sempre Amore et Communiqué pour les deuxièmes (avec le pianiste Mal Waldron), The Flame (avec Bobby Few et Dennis Charles) et The Window (avec Jean-Jacques Avenel et Oliver Johnson) pour les troisièmes, le tout couvrant la période 1981-1997.

On se souvient sans doute que Steve Lacy a quitté notre monde le 4 juin 2004. C’était à Boston, après qu’il eut vécu longtemps en France. Car le fisc, de ce côté-ci de l’Atlantique, le harcelait, lui qui ne possédait pourtant guère que son talent et une sorte de courage musical, de force d’inventivité. Envers et contre tout, s’il le fallait. Était-ce pour autant un trésor à « taxer » ? Pourtant, il avait déjà beaucoup donné, simplement, généreusement, et au plus haut point, dans sa musique…

Citizen Jazz a publié sur la biographie de Steve Lacy, au moment de sa disparition, dès le 16 juin 2004, un article signé Tom Storer, ainsi qu’un entretien que le saxophoniste avait accordé à Alain Le Roux-Marini et qui en dit long sur son art. Toujours sur Citizen Jazz, on trouvera notamment des textes signés Charles de Saint-André, Matthias Kusnierz et Bob Hatteau.

Il y a dans ces « papiers » assez d’informations pour ne pas en rajouter aujourd’hui - sinon pour dire qu’il fait partie des musiciens essentiels qui, toute leur vie, ont tout donné à leur musique sans concession et qui, au même moment et peut-être pour cette raison même, n’ont pas connu le destin, la reconnaissance que leur inventivité et leur total don de soi auraient dû leur valoir. C’est une des raisons pour lesquelles on peut dire que Steve Lacy fut un musicien solitaire. Et c’est justement parce que sa solitude fut par trop « radicale » - si le terme convient ici -, qu’il ne fera jamais partie des « héros », des « légendes » du jazz. Naturellement, les disques en solo sont une des formes - la plus évidente, peut-être - que revêt cette solitude. Mais au plus profond, c’est avant tout (cela s’entend donc en toute circonstance dans son jeu) dans sa musique elle-même, composée ou interprétée, qu’elle se trouve : ce que Lacy dit au soprano - dont il joue comme nul autre -, c’est que toute musique provenant du plus intime de l’être, ne dit que la singularité de celui-ci, sa spécificité et donc, d’une certaine façon sa solitude. C’est peut-être de Mal Waldron que Lacy a été le plus proche. Pour peu qu’on y prête attention, on sent que si tous deux nouent cette relation complice c’est qu’ils entendent la musique de la même façon : elle est leur individualité même, tout ce qu’ils sont. Parallèlement, ce qu’ils sont, ils l’inventent dans l’instant où ils imaginent leur musique. Et dans cet instant seulement.

Ces six enregistrements - parmi tant d’autres -, devraient achever de confirmer que Steve Lacy fut et demeure un musicien important. Et pas seulement parce qu’il accompagna Sonny Rollins sur un pont de New York ou qu’il persuada John Coltrane de jouer du soprano ! Mais surtout parce que sa musique est unique, précieuse, riche, fertile. Et si singulière...