Chronique

Tony Malaby Paloma Recio

Incantations

Tony Malaby (ts, ss), Ben Monder (g), Eivind Opsvik (b), Nasheet Waits (dms)

Label / Distribution : Clean Feed

Fidèle à ses habitudes, Tony Malaby donne à l’un de ses groupes le nom de son premier album. Paloma Recio est donc, après Apparitions ou Tamarindo, la troisième formation jugée suffisamment établie par le saxophoniste pour être baptisée. Même constat que pour les deux formations sus-citées : ce deuxième disque montre le travail du temps. Le propos est plus centré, le son plus défini. Il y a une préoccupation de condenser le contenu, de réussir sur la durée à consolider l’écoute et l’interaction pour en gommer les outrances. Ainsi ce second album du quartet apparaît à la fois plus sage et plus riche encore que le premier album, pourtant déjà formidable.

La rigueur et l’inventivité du tandem rythmique servent les mouvements de la musique du saxophoniste, dans l’ascèse comme dans la fulmination. Il y a dans ce soutien une souplesse qui autorise les plus grands fossés entre les situations de jeu. Eivind Opsvik et Nasheet Waits portent le rythme autant qu’ils l’effilochent, le déconstruisent afin de ne laisser d’autre choix que l’exploration, la mise en danger. Quiconque a eu le plaisir de voir cette formation en live connaît sa propension à s’enfoncer profondément dans une abstraction incandescente. C’est précisément ce qui se produit durant cette suite en quatre parties dont chacune, développée longuement, emprunte des chemins imprévisibles. Si bien que l’on y retrouve l’audace et la vitalité qui rendent leurs prestations scéniques si intenses.

Bien sûr, les quatre musiciens, ayant tous de grandes qualités d’improvisateurs ainsi qu’une personnalité marquée, développent sur des trames ardues un discours aussi puissant que sophistiqué. Mais ce que l’album nous offre de plus beau se trouve dans la retenue, pas celle que l’on assimile à l’économie de moyens, mais celle qui tend la musique, la maintient au bord de l’explosion. Le quartet, lorsqu’il va jusqu’au point de rupture, quand l’énergie ne peut plus être contenue, trouve dans la mise en place de climats inattendus une alternative passionnante à la simple déflagration. On mesure alors l’importance de Ben Monder dans la constante redéfinition du territoire esthétique du groupe. Sa guitare griffe la musique de stridences électrifiées, l’assombrit de lourds nuages saturés, l’emporte par ses sons englobants et ses fantaisies harmoniques. Le guitariste propose à tout instant, par ses accords ou ses phrases, un complément évident au discours du saxophoniste. Car si tous deux se plaisent à triturer des cellules mélodiques afin de bousculer la linéarité narrative, Ben Monder déploie une palette chromatique que se refuse Tony Malaby.

Le jeu collectif est tellurique mais la musique s’élève dans une spiritualité ardente, tempétueuse. Ces Incantations représentent, par leur mélange de fougue, d’âpreté et de sensualité, un axiome de la démarche musicale du saxophoniste autant qu’un remarquable exercice d’effacement des frontières entre l’écrit et l’improvisé.