Chronique

Laura Toxværd

Song Book : Tidens strøm & Drapery

Maria Laurette Friis (voc), Laura Toxværd (as), Kristian Tangvik (tub), Kalle Moberg (acc), Kresten Osgood (d) / Laura Toxværd (as), Gustaf Ljunggren (g), Peter Friis Nielsen (elb), Marilyn Mazur (perc, d)

Label / Distribution : ILK Music

La saxophoniste alto Laura Toxværd a composé, écrit, arrangé et enregistré ces deux volumes d’un même projet entre décembre 2018 et mai 2019. Tidens strøm et Drapery, les deux albums, sont également le sujet du Song Book, un ouvrage écrit par la musicienne et qui explique et illustre les morceaux. Les trois sont édités par ILK Music.

Tidens strøm est un court voyage poétique en six pièces, sur des textes chantés de la compositrice, et qui ont comme source d’inspiration les auteurs scandinaves N.F.S Grundtvig (notamment le « Nyaars-Morgen ») ou Carl Michael Bellman qui célèbrent à leur façon la liberté de vivre, de penser, d’expérimenter. Un terrain que Laura Toxværd, musicienne, enseignante et chercheuse, connaît bien.
Toute la poésie mélodique et nostalgique est placée dans le texte chanté lentement et innocemment par Maria Laurette Friis, tandis qu’autour de sa voix les souffles - celui, rond, du tuba de Kristian Tangvik et celui, coupant, de l’accordéon de Kalle Moberg - assurent une respiration régulière et tantrique. Alors, surgissant de ce folklore populaire et thématique, le sax alto de la leader vient répondre au texte par séquences acérées ou rugueuses, distillant quelques essences de free dans l’esprit d’Albert Ayler, sans jamais se départir du blues. Tout du long, un démiurge discret mais précieux fait étinceler la musique par ses interventions aux balais, cliquetis et grattements : c’est le batteur Kresten Osgood.
C’est beau, lent, doux, plein de surprises et de petites scories à découvrir, c’est chanté en danois mais on comprend tout car la musique est là.


Changement d’ambiance avec Drapery, le second volet enregistré en concert à The Barn, et qui est basé sur des partitions graphiques composées par Laura Toxværd.
On retrouve ces partitions dans le Song Book, ce qui permet de suivre et de comprendre comment elles sont interprétées.
Laura Toxværd est l’autrice d’un précédent ouvrage Compositions - 18 Graphic Scores qui présente ses œuvres et propose d’en comprendre la portée. Elle a aussi publié le disque Phonebook avec le pianiste Jacob Anderskov, un duo piano-sax dont la substance est faite de partitions avec des collages de feuilles d’annuaire.
On sait donc qu’elle ne fait pas ça en l’air et avec Drapery, il y a une cohérence.

Avec le mélange des cordes, guitare, banjo, basse électrique très ronde, on sent que les deux gars aux manches n’en sont pas. Gustaf Ljunggren (guitares et autres cordes) et Peter Friis Nielsen (basse électrique) sont intimement liés dans cette entreprise, assurant un environnement harmonique et contrapuntique de premier ordre. Très colorée et vivace, inventive et disposant d’un grand set de percussions et batterie, Marilyn Mazur, l’internationale, se met au service de cette musique collective dirigée. Enfin, la saxophoniste, qu’elle improvise ou suive les bribes thématiques, garde toujours ce tranchant au saxophone alto, un son cuivré et vibrant, légèrement humide et qui ne se départit jamais de sa couleur bleue. Un son tenu, dont on entend à peine la respiration, qui virevolte, à l’image des arabesques de la couverture du Song Book.

La discographie de Laura Toxværd, comme ses prestations scéniques, sont comme un who’s who de la scène improvisée actuelle danoise. Tou.te.s les musicien.ne.s qui comptent et qui participent au renouveau du jazz moderne ont croisé sa route. Ou alors c’est elle qui se trouve à la croisée des chemins, le fameux Crossroad