Chronique

Anne PACEO

S.H.A.M.A.N.E.S

Isabel Sörling (voc), Marion Rampal (voc), Christophe Panzani (sax, cl), Tony Paeleman (p, kb), Benjamin Flament (perc), Anne Paceo (dms, voc, n’goni, perc).

Dans l’entretien qu’elle a récemment accordé à Citizen Jazz, Anne Paceo rappelle en quelques mots les fondements de son processus créatif : « Tous mes morceaux partent d’une mélodie que je chante, parfois quelques syllabes, parfois en langue imaginaire avec des mots qui apparaissent. La mélodie, c’est selon moi la colonne vertébrale du morceau, c’est elle aussi qui va guider le mood et les improvisations ». On ne saurait trouver meilleure explication à ce qui fait toute la séduction de S.H.AM.A.N.E.S, son neuvième disque en tant que leader.

Oui, séduction, tant les douze compositions – toutes d’une durée assez courte et agencées avec beaucoup de soin, à la façon de scénarios au format court-métrage – forment un ensemble multicolore dont le chant semble ne jamais devoir s’interrompre. Il y a un peu de sorcellerie dans tout cela, c’est évident. Solidement entourée, Anne Paceo est parvenue à accomplir un travail de sculpture sonore, au sein duquel s’unissent plusieurs ensembles en étroite imbrication : ce sont d’abord trois voix – disons-le clairement, elles sont la réussite absolue de cet album – dont les tessitures sont proches (la voix d’Anne Paceo est associée à celles d’Isabel Sörling et Marion Rampal), au point qu’on peine parfois à les distinguer. Voilà une tierce de l’ensorcellement qui éclate dès les premières mesures de « Wide Awake ». C’est par ailleurs un dispositif de percussions dans lequel la batterie d’Anne Paceo trouve en Benjamin Flament et son métallophone un allié pour multiplier les nuances et les trouvailles stimulantes. Et puis ce sont deux compagnons de longue date maintenant : Christophe Panzani (qui ajoute la clarinette basse à ses saxophones), musicien dont le lyrisme rayonne en chorus aussi intenses et concis ; Tony Paeleman, enlumineur qui combine ici Fender Rhodes, bass sation et piano et assure à lui seul ce qu’on peut définir comme un travail de fond.

Autant dire qu’au-delà de sa dimension spirituelle, ce S.H.A.M.A.N.E.S ainsi nommé et écrit parce que sa musique revendique aussi une égalité hommes-femmes (cf. l’entretien pour une explication plus détaillée) est une invitation au voyage. Celui-ci vous conduira vers la lumière avec l’émerveillement comme viatique. Car cette musique construite en cycles volontiers hypnotiques, résonne d’échos multiples : ceux de l’Afrique (quand par exemple Anne Paceo joue du n’goni, cette guitare traditionnelle du Mali) ou de l’Espagne (« Piel »), et plus généralement en provenance de contrées dont le langage commun s’apparente à une douce transe (les bols de Benjamin Flament sont peut-être les cousins des gamelans balinais). Le mystère peut y régner (« Drive Into The Unknown ») tout comme le recueillement (« Mirages »), l’incantation (« Travelers ») et parfois des couleurs brumeuses apparaissent pour mieux s’effacer (« Marcher jusqu’à la nuit ») et suggérer un tableau impressionniste.

« Je cherche à être au plus près de ce que je ressens et à assumer mes goûts », dit Anne Paceo. À l’écoute de ce nouveau rendez-vous – sans doute le plus beau de tous ceux auxquels elle nous a conviés jusqu’à présent – on est tenté de lui suggérer de ne plus rien changer. Ce serait mal la connaître : son histoire ne fait que commencer…