Chronique

Rava - Parker - Cyrille

2 Blues For Cecil

Enrico Rava (tp), William Parker (b), Andrew Cyrille (dms)

Label / Distribution : Tum Records

Un hommage à Cecil Taylor sans Cecil Taylor ni piano, la chose n’est pas forcément aisée à imaginer. On a vu il y a peu Giovanni Guidi évoquer Barbieri sans un seul de ses morceaux ; c’est l’un de ses mentors que l’on retrouve dans 2 Blues for Cecil. Enrico Rava illumine ce disque en trio paru chez Tum Records en s’appuyant sur une base rythmique prestigieuse et phénoménale, composée du batteur Andrew Cyrille et de William Parker. Sur « Machu Picchu », morceau du contrebassiste, on peut contempler le triangle à l’œuvre : la contrebasse s’empare d’une ligne structurante, à la fois simple et fluide, que Cyrille habille avec une élégance qui ne confond pas hâte et célérité. Quant à Rava, il agit en liberté sur cette passementerie de luxe, insistant pour que Parker le suive dans un chemin tortueux et escarpé, jouant d’une tension qui ne gâte jamais la grande connivence du trio, et semble prêt à atteindre les sommets.

Qu’y a-t-il, alors, de Taylor dans cet orchestre ? À peu près tout, et surtout de l’intime et du souvenir. Deux blues, le titre l’indique, autant de morceaux longs en improvisation collective. Le premier est encore introduit par Parker, et les clusters de piano pourraient surgir. C’est pourtant la trompette qui s’installe, en toute simplicité, et surtout en laissant ce qu’il faut d’espace. Andrew Cyrille s’en empare avec une certaine parcimonie, le classicisme ambiant nourrissant une élégance que le trio ne tardera pas à déconstruire à mesure que Rava se libère. Il en va de même dans le second blues, l’Italien soufflant sur des braises. Davantage que la musique de Taylor, ce sont ses racines qui sont convoquées ici. Tout le climat qui a engendré sa musique, jusque dans la douceur qui nimbe « My Funny Valentine » où l’accolade de Parker et Rava est à peine soulignée par la caresse des balais.

Pour l’intime, on ne pouvait pas trouver mieux que ces trois-ci. C’est sensible dès « Improvisation n°1 » qui touche à l’essence de la musique nourricière de Cecil Taylor. Cela se poursuit dans le très beau « Ballerina » écrit par Rava qui offre un bel échange entre trompette et batterie, alors que l’axe fort est souvent celui qui lie Parker et Rava. Et si cet équipage rend un si bel hommage à Taylor, c’est parce qu’il le connaissait mieux que quiconque : Parker et Cyrille ont été la plus solide des doublettes rythmique de ses Unit ; quant à Rava, il l’a côtoyé dans l’Orchestra of Two Continents. Ainsi, son fantôme plane sur toute cette belle musique qui tient de l’offrande et de la communion, sans s’alourdir d’une quelconque transcendance. En toute simplicité.