Scènes

Festival Vague de Jazz 2013 (2)

Après avoir exploré dans une première partie les petits formats, solos et duos, de l’édition 2013, voici les trios, les groupes, le rock, et une rencontre transdisciplinaire entre une contrebasse et un fil de fer.


Pour sa 11e édition, Vague de Jazz s’est résolument implanté en territoire vendéen : les concerts ont attiré un large public d’habitués et de curieux. Après avoir exploré dans une première partie les petits formats, solos et duos, voici les trios, les groupes, le rock, et une rencontre transdisciplinaire entre une contrebasse et un fil de fer.

Soirée champêtre dans le marais poitevin

L’une des attractions de Vague de Jazz est la traditionnelle soirée dans le marais poitevin, à Longeville-sur-mer. Le paysage est en mutation : entre les champs serpente un petit canal sur lequel, d’habitude, est organisé un concert en barque. Cet été le temps est trop mauvais, et le spectacle chamboulé par la pluie. À la suite d’une passionnante conférence de Frédéric Goaty sur la présence du jazz dans le hip hop, la soul et l’électro, de Joe Henry à Massive Attack, le duo Élise Dabrowski / Josselin Disdier a dû d’interrompre au moment même où il commençait à prendre forme. Dommage, c’était très beau à voir - tandis que la contrebassiste et chanteuse lyrique jouait de l’archet et lançait par-dessus le vent sa puissante voix de mezzo soprano, le fil-de-fériste marchait, tournait, virevoltait sur un fil tendu entre les deux rives d’un des canaux. Tout autour, les arbres chantaient avec eux, tandis qu’une légère odeur de grillades se perdait dans l’immensité du ciel menaçant. Un trop bref mais vrai moment de poésie.

Eve Risser, photo Christian Taillemite

Suit Toons, qui regroupe deux formations membres du Tricollectif orléanais : le Trio Ceccaldi + Marcel & Solange. Ces jeunes musiciens, en pleine tournée, improvisent d’un trait une longue suite sur le thème du dessin animé. C’est l’occasion pour chacun d’y aller de son solo. Ces garnements, qui s’amusent sérieusement, ont un son d’ensemble sauvage et irrévérencieux. Théo Ceccaldi (violon), Gabriel Lemaire (sax), Guillaume Aknine (guitare), Valentin Ceccaldi (violoncelle) et Florian Satche (batterie) sont de la génération que rien n’arrête : toutes les musiques servent d’inspiration et tout est vécu à fond. Trois jours après, ils remporteront le prix de composition (avec la même œuvre) au Tremplin Jazz d’Avignon, après celui d’Orléans en début d’année.

Enfin, sous la pluie finissante, l’accordéoniste Vincent Peirani et le saxophoniste Émile Parisien improvisent un duo virtuose et vivant. Leur collaboration ne date pas d’hier et pourtant, leur musique semble aussi fraîche, aussi spontanée que si elle venait de s’inventer. Une entente complice et pleine de tendresse leur permet de proposer un set tout en finesse et en profondeur, mais aussi plein d’humour, de clins d’œil et de blagues. Le répertoire comprend des compositions, des standards — dont une relecture kaléidoscopique de « I Mean You » (Thelonious Monk) — des arrangements de Schumann, de la valse musette. C’est le son d’ensemble qui prime ; la fusion des anches est parfaite. Ils termineront avec une version du « Dancers In Love » de Duke Ellington à vous donner le frisson (extrait vidéo ici).

Emile Parisien, photo Hélène Collon

Deux trios contemporains : En Corps et Théo Ceccaldi Trio

Le deuxième jour du festival, le petit village appelé Le Bernard accueille le trio En Corps dans sa salle des fêtes. Malgré une acoustique très sèche, la musique trouve son chemin et c’est un seul et long morceau d’une heure qui se métamorphose devant nous. Eve Risser au piano, délicate coloriste, préparatrice de sonorités transformées, tantôt aérienne, tantôt rugissante, répond à Edward Perraud, batteur inventif, grinceur, gratteur, frotteur, tinteur, en tournoyant autour d’un pilier mélodique, le contrebassiste Benjamin Duboc, solide, inspiré, tenant le cap, note par note. Leur belle musique colorée s’écoute par vagues. Elle remplit l’espace, faite de sonorités qui s’assemblent harmonieusement, du son rond du piano et de la contrebasse aux brumes métalliques des cymbales ou du piano préparé. Elle est aérienne, pleine de silences, de respirations et surtout, on sent — ou plutôt on ressent — l’interaction entre les musiciens, leur façon de s’écouter, de s’entendre. Pas de rupture dans le discours, pas de désaccord. L’art du trio, en quelque sorte.

Comme Émilie Lesbros (voir notre première partie), le Théo Ceccaldi trio a dû combattre à distance la soirée karaoké du « camping d’à côté » en faisant abstraction des houles sonorisées pour présenter son alchimie encordée. Théo Ceccaldi au violon, Vincent Ceccaldi au violoncelle et Guillaume Aknine à la guitare électrique composent ce trio de chambre étonnant. Énergie, humour et folie ne cachent pas l’écriture tenue des compositions, ni la précision des instrumentistes. Parrainé par Joëlle Léandre, avec qui il a enregistré récemment, ce trio fait honneur au Tricollectif, dont il est l’un des piliers.

Des groupes à l’énergie rock

La première soirée de Vague de Jazz proposait un double plateau au Jardin de Verdure des Sables d’Olonne, un parc avec vue sur la mer qui comprend une scène et son auvent en béton ouverte à tous les vents. Particulièrement difficile à sonoriser, donc, mais le festival a fait appel à un magicien du son en la personne de Boris Darley. Quant à la lumière, la formule « fiat Lux » ne marche pas à tous les coups…

Jeanne Added/Marielle Chatain, photo Christian Taillemite

En ouverture, le duo Jeanne Added et Marielle Chatain. Les deux musiciennes, en plein enregistrement de ce qui deviendra le premier disque de la chanteuse sous son nom, proposent un set rafraîchissant, un peu court - concis, énergique et efficace. Added s’accompagne ou non à la basse, Chatain la soutient et la double à la voix ou aux claviers, aux percussions ou au saxophone baryton. Cette combinaison étonnante a le mérite de laisser à la chanteuse tout l’espace nécessaire pour poser les textes et ses mélodies - des thèmes très construits aux harmonies solides, au débit très rythmique, qui pas un instant ne perdent l’efficacité des chansons, celles qui se sifflotent longtemps après le concert. La direction esthétique est claire : c’est bien du rock. Un rock minimaliste, percussif, qui lorgne aussi vers ses cousins ou voisins que sont le hip-hop, le funk, le blues et le jazz…

L’Electric Epic de Guillaume Perret s’empare ensuite de la scène, avec pour invité Médéric Collignon. Leur musique a le vent en poupe, le public est là. Cependant, du début à la fin du concert, on a le sentiment d’entendre un seul et même morceau, une vague mise à jour d’un jazz rock années 80. Le son (ils ont leur propre ingénieur du son) trop fort et trop métallique, l’éclairage de mauvais goût, ont eu raison de ma patience. L’expérience se tente, mais il est inutile de la répéter, le résultat est toujours le même.

Synaesthetic Trip, photo Hélène Collon

Ce n’est pas le cas du groupe d’Edward Perraud, « Synaesthetic Trip ». Ici l’expérience est au coeur de la musique et ça fonctionne. Benoît Delbecq, au piano et claviers, verse dans le mélange son propre univers, comme un pigment dans une base. Pianiste délicat et inventif, il joue recto verso. Ses mains sur les touches rappellent l’acrobate sur le tapis elles virevoltent, se retournent, se croisent… et c’est toute leur surface qui fait vibrer l’instrument. Arnault Cuisinier, à la contrebasse, dialogue sans cesse entre les lignes mélodique et rythmique, et sa timidité apparente contredit la force de ses propositions musicales. Le trompettiste flamand Bart Maris joue sur les nuances, les effets de jeu, y compris électroniques. Quant au rassembleur, le batteur Edward Perraud, il apparaît une fois de plus comme un condensé de finesse, de couleurs et de gourmandise - tout cela émane de son jeu pointilliste. Ce concert au Jardin de Verdure, en plein air, gratuit, donc ouvert à tout un public de badauds intrigués et parfois captivés, restera une des plus belles soirées du festival.

Les deux derniers concerts dans ce lieu ont été l’occasion de découvrir deux univers d’inspiration très différente. Pour son Verlaine, John Greaves emprunte aussi bien à la chanson rock anglaise qu’à la poésie en compagnie des chanteuses Elise Caron et Jeanne Added, de l’altiste Guillaume Roy et du guitariste Olivier Mellano. Eve Risser et Thomas de Pourquery ne pouvant être présents, après une entrée en matière en solo du chanteur-compositeur le groupe reconfiguré revisite son répertoire. Les plus beaux morceaux sont encore les plus intimistes, à une ou deux voix, et la cohésion d’ensemble souffre de ce line-up incomplet.

John Greaves, photo Hélène Collon

L’univers de Denis Charolles, lui, rend hommage à Duke Ellington et Thelonious Monk. Elise Dabrowski rejoint l’orchestre de la Campagnie des musiques à Ouïr et s’insère avec justesse dans les relectures des standards de ce « Duke et Thelonious ». Loin d’être de pâles copies réchauffées, elles sont au contraire complexes et imaginatives, festives et foisonnantes. Un faux voyage dans le temps qui porte la patte surréaliste de Charolles, très ancrée dans son époque.

Vague de Jazz, pour son édition 2013, bénéficie d’une reconnaissance cerraine de la part de la ville des Sables d’Olonne, qui a pavoisé la promenade du bord de mer pour annoncer le festival. Une grande diversité de formes et de styles artistiques a marqué cette édition et certains des concerts ont été de grands succès de fréquentation. De plus, il est remarquable que ceux qui contribuent à faire vivre ce festival, musiciens, bénévoles, organisateurs, journalistes et spectateurs se mélangent et se côtoient avec simplicité.