Scènes

Vague de jazz 2010

La huitième édition du festival Vague de jazz en Vendée a été particulièrement réussie. Répartis entre les Sables d’Olonne, Longeville sur mer et La Tranche sur mer, les concerts, qui ont attiré les foules, témoignaient de la complicité joyeuse d’une grande famille du jazz.


La huitième édition du festival Vague de jazz en Vendée a été particulièrement réussie. Répartis entre les Sables d’Olonne, Longeville sur mer et La Tranche sur mer, les concerts, qui ont attiré les foules, témoignaient de la complicité joyeuse d’une grande famille du jazz.

Vague de jazz avait commencé fin juillet avec Limousine [1], et s’achève fin août avec DPZ [2]. Entre-temps, la rédactrice de Citizen Jazz était allé faire un tour. Le photographe, lui, était là…

Dgiz © Christophe Alary/Objectif Jazz
À l’entrée de Longeville, on est accueilli par l’affiche du festival : combative, décidée, cosmopolite. Dgiz est l’animateur en chef. La veille, il avait déjà fait se lever le public des Sables d’Olonne pour Michel Portal [3] ; il motive aujourd’hui les spectateurs de la balade en barque, qui réunit cette année Médéric Collignon, parrain du festival depuis sa création, et Thomas de Pourquery. Tous deux ont été couronnés cette année par une « Victoire du Jazz » : le trompettiste-bugliste-bruitiste avec son groupe, le Jus de Bocse, et le saxophoniste au sein du MegaOctet d’Andy Emler, d’ailleurs programmé le surlendemain au même endroit. Leur duo place immédiatement le séjour sous le signe de la drôlerie : plaisanteries, moqueries, farces, rires, tout y est. Ils imitent des sirènes de police, jouent d’un clavier en plastique, expérimentent avec l’eau dans les tuyaux, provoquent une bagarre joyeuse et finissent par tomber dans le marais poitevin tandis que les vaches et le soleil se couchent, sous le regard amusé des promeneurs mélomanes. « Vase de jazz »... L’Atlantique n’est pas loin, et donne au festival des airs de vacances. L’atmosphère est détendue, les grillades délicieuses. Le duo laisse place à deux jeunes groupes locaux, entre rock (dont une jolie reprise de « Julia » des Beatles) et improvisation libre.

Quand les soirées ne s’achèvent pas par un bœuf sur la plage, c’est sur place que chacun laisse libre cours à son imagination musicale. Difficile d’arrêter Dgiz qui, non content d’amorcer tous les concerts à grand renfort de poésie slammée, parfois accompagné par le saxophoniste Pierre Lambla, s’emploie à les terminer, ou plutôt à ne pas les terminer. C’est ainsi que Das Kapital, introduit par les facéties de Dgiz, Médéric Collignon et Eric Echampard, a donc duré tard dans la nuit.

Daniel Erdmann © H. Collon/Objectif Jazz

Le duo en barque invitait davantage à s’imprégner des couleurs du paysage et de la musique qu’à écouter vraiment : impossible de tout entendre à cause des nombreux spectateurs qui suivent la barque depuis la rive ; le trio en scène s’adresse, lui, directement au public, avec volume et électricité. Daniel Erdmann (s), Hasse Poulsen (g) et Edward Perraud (dr) se sont associés pour revisiter la musique de Hanns Eisler, compositeur allemand chassé de son pays par le Nazisme, puis des Etats-Unis par le Maccarthysme et auteur de nombreuses chansons à vocation démocrate. « La Chanson du marais » traite des incarcérés du régime nazi ; « Elegy 1939 » et « Sans le capitalisme, ça va mieux » parlent d’elles-mêmes ; « À la lune allemande » s’interroge : quelle est la différence entre la lune allemande et la française ? Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les grand-pères respectifs de Daniel Erdmann et Edward Perraud ont combattu l’un contre l’autre. 60 ans plus tard, leurs petit-fils appellent à la paix. Malgré l’absence de paroles, Das Kapital chante l’ouverture (ses trois membres viennent chacun d’une capitale européenne différente) : les mélodies sautillent, à l’image des enfants qui dansent à côté de la scène en plein air, certaines se parent d’un arrière-goût écarlate affirmé (« Le Chant des solidarités »). Perraud déploie une très large palette ; Erdmann apporte une touche de douceur ; Poulsen démontre sa virtuosité à travers deux mémorables solos. Archets, ressorts, tout y passe. Il s’agit pour une grande part d’exploiter les possibilités sonores de l’instrument, quels que soient les détournements nécessaires. Ce vendredi, Hasse Poulsen joue de la guitare comme d’un violoncelle et Edward Perraud de l’électronique comme d’une guitare ; dimanche, Didier Petit jouera du violoncelle comme d’une percussion. On s’adapte en fonction du moment et de l’effet recherché, comme Dgiz troque son jouet en plastique (après avoir lancé, invité en rappel par le groupe, « C’est la flûte finale ! »), pour une séance de human beatbox qui déchaîne les rires, y compris sur scène.

Car on rit, dans ce festival ! Samedi, pendant le concert du MegaOctet d’Andy Emler, Michel Massot fait des mimiques au tuba ; Thomas de Pourquery fait semblant de ne plus savoir jouer du saxophone ; Andy rend hommage à « un jeune compositeur qui monte », Ludwig Von Beethoven, mais aussi à son invitée Elise Caron (troisième « Victoire du Jazz 2010 » du festival), avec « Mail to Elise », puis dédie un morceau à Gabriel Fauré et Marvin Gaye ; Laurent Dehors joue du soprano et du ténor en même temps avant de chanter d’une voix étranglée par le rire les amours de Jane et Tarzan (à savoir le public et lui-même). On sourit aussi, quand sur le « Mail », Thomas se lance dans un somptueux duo avec le pianiste. Contrastant avec la puissance rock des thèmes, tandis qu’Emler joue la mélodie, de Pourquery l’effleure à peine, amenant au soprano une légèreté poétique impressionnante de finesse. Un des plus beaux moments de la soirée. Thomas a en outre le mérite de ne pas verser dans la démonstration – jouissive ! – que favorise pourtant le MegaOctet : son leader n’écrit pas pour une contrebasse ou une batterie, mais pour Claude Tchamitchian ou Eric Echampard.

Andy Emler MegaOctet © Christophe Alary/Objectif Jazz

Tous ont ainsi la place de démontrer leurs talents : percussions (François Verly) et batterie livrent un combat sonore dans l’arène ; devant les solos des deux Laurent - Dehors (s) et Blondiau (tr) - force est de reconnaître que rien ne leur est impossible. Seul Andy reste relativement discret, aux commandes silencieuses de l’orchestre (une oreille attentive remarquera néanmoins son immense talent d’accompagnateur). Quant à Adrien Amey (s), qui remplace souvent ici Philippe Sellam, chapeau ! C’est plus jeune de la bande, mais son solo le place d’emblée parmi les grands. Contrairement à ses acolytes, il met du temps à s’installer dans son propre courant de jeu, et ne cherche pas la virtuosité. On pourrait croire qu’il s’agit seulement d’une question de génération ; or, Elise Caron irradie la même volonté d’expression intérieure, dans ce qu’on appellera un « intermède » en duo avec Andy Emler. Ce dernier profite de la scène pour rappeler à quel point les festivals passionnés qui défendent ces musiques sont de précieux foyers de résistance. Artistique, mais pas que. Elise reçoit des fleurs, et le MegaOctet, qui croule sous les applaudissements, laisse place à Linnake.

Linnake © Christophe Alary/Objectif Jazz

Alors la soirée subit une métamorphose radicale. Tout d’abord, le décor change : de la salle on passe au hall d’entrée, qui propose une très belle exposition de photos de Caroline Pottier, la photographe officielle du festival ; la bière est à portée de main, la musique aussi : Jeanne Added (voix, b), Julien Desprez (g) et Seb Brun (dr) mettent le feu. Rock, hard rock, krautrock, que sais-je, ces trois jeunes gens ont de l’énergie à revendre et un sacré esprit de groupe. Depuis le patio, entre deux discussions, on entend soudain la voix de Thomas de Pourquery qui, l’espace de quelques minutes, se joint à l’ambiance déjantée de cette scène de fortune, aménagée dans un coin de salle, sous le regard ravi des amateurs de mouvement. Le Mega était impressionnant sur sa haute scène illuminée, Linnake est entraînant dans cette grande salle ouverte à tous les vents.

« Vague de Jazz », s’il offre à entendre une certaine famille du jazz, ne choisit pas son style : tout y est ! C’est ainsi que le lendemain, dernier jour de présence pour Citizen Jazz, les festivités sont ouvertes par un trio de cordes : Hélène Labarrière à la contrebasse, Guillaume Roy à l’alto et Didier Petit au violoncelle. Ici aussi « le vent souffle » : les trois musiciens changent de place, se regardent, se baladent, mettant leur corps tout entier en jeu. Didier Petit surtout joue de ses pieds, de sa voix, de sa tête. Parfois c’est l’archet qui fuse dans l’air, ailleurs c’est la chaise qui fait des siennes. Ici on fait percussion de tout ; l’un donne le rythme, les autres improvisent. Labarrière se retrouve seule – « ils font le coup à chaque fois ! » -, entame un solo éclaté et joyeux, tout en pizzicato ; suit un long morceau à trois où le violoncelliste donne dans la vocalise orientale - avec humour -, sur quoi on ramène le bateau au port dans un hommage à Bashung, « Laissez venir ».

Roy/Labarrière/Petit © Christophe Alary/Objectif Jazz

Entracte.

La salle est pleine. Une petite fille installe sa poupée sur ses épaules pour qu’elle y voie mieux, la lumière se tait. Louis Sclavis, Edward Perraud et Hasse Poulsen entrent en scène. Déjà, au Triton, à l’automne dernier, ce « trio impro » avait été époustouflant. Ce soir, il est magistral. Les rythmes sont plutôt rapides, le souffle tenu de Sclavis impressionnant, le jeu entre électrique et acoustique structurant. Hasse Poulsen alterne guitare électrique et guitare acoustique amplifiée – ce qui allie la puissance de son à une écoute distincte de chaque corde, et Edward Perraud, dont la palette sonore est tout aussi large qu’avec Das Kapital émet, un micro sur la gorge, toutes sortes de bruits électroniques ; seul Sclavis demeure relativement sobre. « Relativement », car il trouve quand même le moyen de transformer sa clarinette en percussion en en jouant de l’embouchure à l’envers juste devant le micro. Difficile de décrire une musique qui part d’un éclatement free pour aboutir à une berceuse, en passant par de la country ! Imaginez trois virtuoses qui, chacun dans leur coin – en apparence ! -, arrivent à se rejoindre, l’air de ne pas y toucher, pour vous donner la baffe sonore du siècle. Abasourdi, on voit débarquer Dgiz sur scène pour le dernier morceau. Déjà ? Le rappel ramène à l’avant-scène le trio qui délaisse micros et amplis pour raccompagne les spectateurs vers la sortie : Sclavis et Perraud se passent une boule, le clarinettiste souffle doucement, Poulsen grattouille, on joue, on se couche.

Sclavis/Perraud/Poulsen/Dgiz © Christophe Alary/Objectif Jazz

De grands enfants ! Voilà ce que nous avons été le temps de quelques notes de musique, aussi imprévues que délicieuses, lors d’un festival où on peut aussi se baigner entre les concerts. Rires et émotions garantis.

par Raphaëlle Tchamitchian // Publié le 13 septembre 2010

[1Laurent Bardainne (s), Maxime Delpierre (g), David Aknin (dr)

[2Thomas de Pourquery (s), Daniel Zimmermann (tr), Maxime Delpierre (g), Sylvain Daniel (b), David Aknin (dr)

[3Qui se produisait avec Bruno Chevillon (cb), Vincent Peirani (acc), Eric Echampard (dr)