Festival « Vague de jazz » 2009
De Vincent Peirani à Fred Pallem, d’Andy Emler à Edward Perraud, douze concerts pour quatre villes, tous les styles, toutes les rencontres et tous les paris…
Aux Sables d’Olonne comme à Longeville, à La Tranche-sur-Mer comme à Saint Hilaire-de-Riez, une équipe de 350 bénévoles passionnés, amoureux du jazz et des musiques improvisées proposaient du 22 juillet au 21 août 2009 des concerts pour la plupart gratuits dans des lieux originaux et une ambiance conviviale. Citizen Jazz était présent les 7, 13, et 14 août.
- Andy Emler © H. Collon
Sur le remblai des Sables d’Olonne, le Théâtre de Verdure abritait le 7 août le trio ETE, entrée libre et sourires à volonté. Depuis la scène, Andy Emler, leader du très décoré MegaOctet, auquel appartiennent aussi ses comparses, Claude Tchamitchian, contrebassiste aux mille projets [1], et Eric Echampard, membre entre autres du Grand Ensemble de Marc Ducret, voient la mer. Le pianiste répond aux mouettes rieuses en lançant un grand et joyeux « hello » et balaie aussitôt tout le clavier ; l’improvisation, cette « hygiène musicale » que le trio s’impose au début de chaque morceau pour ouvrir le champ des possibles, comme ici sur « Quelque chose à dire » [2], prend un tour savoureux : Emler va chercher sa nourriture dans le ventre de l’instrument, en tapant sur les cordes elles-mêmes, Claude se saisit de l’archet, Eric caresse les cymbales… « Magnifique ! » crie une voix. Le trio, classique dans la forme mais moderne sur le fond, pourrait se définir en trois mots : ouverture, énergie, harmonie. La richesse de la formule est évidente, les musiciens passent par tous les états, du plus introspectif au plus généreux, du plus « libre » au plus mélodique. Le quatrième morceau, « Inquiétude » [3], aussi étrange que cela puisse paraître relève ainsi du… bruitisme mélodique ! Tandis que sur le fond de scène, les ombres de feuillages projetées oscillent au gré du vent, les musiciens ménagent des pauses, des silences qui portent encore les sons. Les attaques sont précises sans être précipitées : ces trois-là savent prendre le temps de nous laisser écouter, respirer et apprécier dans un même mouvement.
Et ça joue ! Puisant dans ses inspirations classiques, Emler déroule de puissantes mélodies tout en creusant une profondeur de champ qui donne tout leur relief aux pièces, comme s’il développait simultanément plusieurs niveaux de jeu imbriqués [4]. La batterie, discrète dans les moments d’ensemble, se dévoile lors de trois solos grandioses tandis que l’archet se fait objet dans « Hello Hello » (dédié à Stéphan Oliva) pour un monologue tout en puissance et en finesse mélodieuse. Dès les dernières notes le public conquis se lève pour réclamer un rappel ; c’est « Réveil à Lhassa », voyage minimal et poétique, idéal pour conclure. Au final, ce sont quelque quatre cents personnes qui ont découvert - ou redécouvert - le trio ETE.
Seul à proposer de la musique improvisée en Vendée, Vague de Jazz se bat toujours plus pour accueillir les « meilleurs de la scène française », confie son directeur Jacques-Henri Béchieau, pour qui reconduire le festival d’une année sur l’autre est devenu une gageure. S’il est de plus en plus difficile de trouver (et de conserver) les subventions nécessaires, l’association (fédérée autour de sa présidente Florence Hérault) continue à offrir gratuitement (sauf pour deux concerts, et sur un total de 17 manifestations, dont un film et une exposition) une superbe programmation. La conviction de l’équipe a une nouvelle fois porté ses fruits : les sites - idylliques - de cette 7ème édition ne désemplissent pas. Non seulement elle contribue à insuffler un peu de vie sur la côte est pendant l’été, mais elle diffuse une musique trop peu connue et qui pourtant plaît — ces soirées en témoignent…
La suivante, très différente, confronte deux duos : le premier, « en barque », est poétique, aérien ; le second, drôle et électrique ; celui-ci nous emmène dans une promenade flottante avec Jeanne Added et Vincent Courtois, celui-là nous remet les pieds sur terre avec Dgiz et Maxime Delpierre. A l’entrée dans Longeville, petite ville du littoral moins touristique que les Sables d’Olonne, on est accueilli par la gouaille de Jeanne surgissant des tournesols : cette photo signée Caroline Pottier, fidèle photographe de Vague de Jazz figure parmi la trentaine que cette membre du collectif Le Bar floréal expose non loin des Sables. Chemin de terre, prés et rivière, le cadre est idéal pour la fameuse balade en barque : les spectateurs marchent le long de la rive tandis que le violoncelliste et la chanteuse glissent sur l’onde, le tout sous le regard interloqué des vaches.
Le concept est séduisant : les musiciens ne sont relayés par aucune sonorisation, voix et cordes doivent venir à nous dans toute leur nudité. Jeanne relève le défi et livre textes et improvisations avec une fragilité touchante, accentuée par un équilibre précaire… Le parcours est magnifique, bordé d’arbres dont le vert chatoie sous les derniers rayons du soleil ; le silence fendu par l’archet de Courtois se transforme presque en cérémonial, au point qu’on ne sait plus où en est le centre : est-ce nous qui suivons la voix venue des eaux ou bien la barque qui accompagne nos pas ? Cette dernière échappe souvent aux regards, qui errent alors entre branches et cailloux, ou croisent celui des bovins… À l’écoute de cette musique qui résonne sous le pont de pierre, l’enchantement est total. Les oiseaux, les fleurs, mais par-dessus tout la lumière composent un tableau insolite : les vacanciers médusés s’arrêtent pour regarder passer cet étrange convoi. Chansons médiévales, chansons françaises, libres improvisations… Jeanne parcourt l’onde et le temps au fil d’un parcours composite qui laisse toujours de l’espace à son complice et à notre imagination.
- Jeanne Added © P. Audoux/Vues sur Scènes
À la Maison du Marais nous attendent Maxime Delpierre et Dgiz, qui se lancent dans une folle improvisation à la guitare électrique pour le premier, au slam et à la contrebasse pour le second. Aussitôt déferle un flux de paroles quasi ininterrompu où il est question aussi bien de l’état de la planète que des rongeurs, d’Obama ou du festival lui-même. Dgiz fait même parler les merguez, alors que Delpierre verse dans la saturation joyeuse. résultat : une grande « salade de free », à base de bière, d’acrobaties verbales interactives, de douces provocations et de bonne humeur.
Le vendredi soir, sur le remblai des Sables d’Olonne, l’ambiance est très différente. Dgiz a concocté une introduction au trio EGO (Maxime Delpierre – guitare, Edward Perraud – batterie, Vincent Courtois – violoncelle) : tout en s’accompagnant à la contrebasse, il slamme avec une verve et un débit impressionnants et met le public à contribution en lui demandant de lancer des mots qui serviront de squelette à son improvisation, acceptant même des termes prétendument inconnus de lui : « serfouette », « chaumoire », « 36 », « jazz »… Passés à la moulinette de son imagination, ils se transforment plusieurs fois : chaumoire devient chômage puis grimoire puis chauffage… sans qu’on sache jamais ce qu’a voulu dire le spectateur. Le public est ravi.
Vif contraste avec la seconde partie puisque cette fois, les trois artistes ne prononcent pas un mot : la musique est leur langage, les instruments leurs outils. Ça commence jazz, ça continue free et ça finit rock avec l’arrivée de Jeanne Added. Le concert se situe ainsi entre les styles, déjoue nos attentes en circulant autour sans jamais y tomber. Les deux premiers morceaux (instrumentaux) sont une lente montée en puissance ; Courtois utilise beaucoup l’archet, Perraud ne cesse d’aller et venir entre percussions et « effets »… Les masses sonores s’entrechoquent, se complètent, s’interpellent, nous interpellent, sur fond de rythmes sauvages qui emportent passionnément l’auditeur. Avec Jeanne la musique vire résolument au rock. Plutôt sage au début, elle part dans des graves presque rauques et révèle un coffre impressionnant. Autant sa voix peinait à se frayer un chemin entre le vent et les arbres du marais, autant ici elle prend de l’ampleur ; on la sent plus assurée, plus profonde. La chanteuse engage son corps tout entier, comme le virtuose Edward Perraud [5] qui, parfois, se lève de son tabouret, mû par sa propre musique, sans jamais déraper vers la démonstration, ou comme Courtois, qui se bat littéralement avec son violoncelle, frotte les cordes avec véhémence, se dresse, se rassied, sursaute, danse avec l’instrument. Delpierre est plus discret, mais tout aussi impliqué : ces musiciens sont tout entiers à ce qu’ils font, habités par une énergie et une passion communicatives. Un pied fermement ancré dans le rock et l’autre dans l’improvisation, ils se nourrissent des différentes scènes qu’ils fréquentent : Maxime Delpierre navigue notamment entre Viva and the Diva [6], sorte de krautrock jouissif, DPZ [7] et le WAT [8], de Courtois, fusion entre jazz et rock qui n’est ni du « jazz-rock » ni de la « fusion ». Le point commun ? Un « feeling » rock, des instruments jazz… et un public qui en redemande. Aux Sables d’Olonne, ce sera une balade.
- Maxime Delpierre © H. Collon
Le week-end se poursuivra avec un solo de Joëlle Léandre et d’Edward Perraud, les trios Thomas de Pourquery (saxophones, voix) / Lionel Suarez (accordéon) / André Minvielle (voix) et Claude Tchamitchian / Vincent Courtois / Guillaume Roy (alto) ; le festival se terminera les 19 et 21 août avec Fred Pallem et Sibiel. Le plaisir évident que prennent les membres de l’association à accueillir dans leur région — et jusque dans leur maison, pour certains —, cette « famille » musicale fait toute la singularité de Vague de Jazz et, par ricochet, donne des ailes aux prestations scéniques : spectateurs et artistes sont heureux d’avoir affaire à de vrais amoureux de la musique et cette exceptionnelle implication transparaît dans les choix de programmation, cohérents de bout en bout. Le festival repartira donc pour une huitième édition en 2010, avec notamment le MegaOctet d’Andy Emler !