Scènes

Jazz sous les Pommiers, 33e édition

Jazz sous les Pommiers 2014, 33e édition (1).


Malgré un temps incertain, les festivaliers sont présents en nombre pour la première journée du festival Jazz sous les Pommiers, 33e édition, en ce 25 mai 2014. Les trois premiers concerts de la journée augurent bien de la suite.

B.F.G. : inventivité et plaisir de jouer

Douze ans après Here and Now (Naïve), couvert d’éloges et de récompenses, on retrouve le trio B.F.G. (pour Bex, Ferris, Goubert) pour la sortie son dernier album, Now or Never (Naïve), enregistré en direct au Sunset (Paris), les 28 et 29 juin 2013. Cette formation originale - orgue, trombone et batterie - suppose une grande inventivité de la part des musiciens. Ceux-ci confirment qu’ils n’en manquent pas, même s’ils commencent par un classique entre les classiques, le fameux « Take Five » de Paul Desmond. La réinterprétation, elle, décoiffe par sa liberté. Sur un rythme un peu haletant, Simon Goubert, ses quatre cymbales, plus la charleston, s’en donnent à cœur joie. On retrouve la même liberté de traitement dans l’autre reprise de Now or Never, « Bluehawk » (Thelonious Monk). La suite - de l’album et du concert - ne comporte que des créations : deux compositions pour chacun.

Bex Goubert © Gérard Boisnel

Heureuse surprise : alors que sur l’album il faut parfois tendre l’oreille sur certains passages de « Fa dièse » (Emmanuel Bex, Hammond B3), cette musique conceptuelle passe très bien en concert, ainsi que « Le sourire de Babik » (Simon Goubert, batterie), en hommage au fils de Django Reinhardt ; une pièce d’une grande douceur, non exempte de mélancolie. « Light’n Up (If You Can) » (Glenn Ferris, trombone), traduit par son auteur par « Sois cool si tu peux », débute de façon plus gaie avant d’alterner belles mélodies au trombone et tutti déchaînés. Ferris signe également une intervention remarquable sur « Seul sans toi », ambitieuse composition d’Emmanuel Bex dédiée à Dominique Voquer (guitariste, figure marquante du jazz caennais pendant des décennies, décédé en avril 2010). Le son du trombone y évoque la voix humaine de façon troublante et Ferris conclut par une tenue impressionnante. Tout au long du concert le talent de Simon Goubert éclate aussi bien dans le subtil travail de dentelle que dans le déchaînement sonore et rythmique - un festival de baguettes, de balais et de caisses ponctué de judicieux coups de cymbales. Quant aux nappes sonores de Bex, elles vous transportent littéralement.

Glen Ferris © Gérard Boisnel

Cécile McLorin Salvant : émouvant et intense

A peine remis du concert de B.F.G., il faut rejoindre la salle Marcel Hélie (1 500 places). Non que cela nous déplaise : tessiture étendue, diction et placement parfaits, expressivité accrue… la jeune chanteuse programmée est de celles qu’on a toujours plaisir à écouter. Dès le premier titre, il est clair qu’elle sera portée par un trio de haut vol : Aaron Diehl (piano), Paul Sikivie (contrebasse) et Pete Van Nostrand (batterie). Dès le second la salle est conquise. Il faut dire que son « Nobody » (Bert Williams), un modèle d’ironie amère, est indiciblement émouvant. Beaucoup d’émotion aussi dans « John Henry ». Cécile McLorin Salvant aborde cette espèce de légende chantée - la vie d’un des rares héros noirs américains -, un peu à la façon des griots. Contrebassiste et batteur y déploient tout leur talent, de même que sur le traditionnel qui suit, « I Really Don’t Know What Time It Was ». Un autre traditionnel, notamment interprété par Ella Fitzgerald, « Spring Can Really Hang You Up the Most » (Fran Landesman et Tommy Wolf, 1955) est un moment de pure musicalité. On se détend un peu grâce à « Stepsisters’ Lament » (Rodgers & Hammerstein), inspiré de Cendrillon, que l’artiste présente avec malice comme ayant eu un écho dans sa propre vie. Avec « Laugh, Clown, Laugh », issu de l’opéra Pagliacci, c’est le retour de la sensibilité. Même chose avec les deux titres en français de la soirée, d’abord, « Le front caché sur tes genoux » de la poétesse haïtienne Ida Faubert (1882-1969), très beau texte admirablement mis en valeur, et surtout le « Mal de vivre » de Barbara dans une interprétation éblouissante. Belle occasion aussi d’admirer ce pianiste virtuose et sensible qu’est Aaron Diehl.

Cecile © Gérard Boisnel

Notons que le concert révèle un talent de comédienne jusque-là inconnu. Une nouvelle Cécile McLorin apparaît, avec un air mutin qu’on ne lui connaissait pas. Grâce à ce nouveau groupe et ce nouveau répertoire, celui de son album Woman Child (mai 2013), elle captive un public exigeant et suscite en lui une émotion évidente.

Omer Avital : une joie de vivre contagieuse

La tradition d’Omer Avital est celle de ses aïeuls, marocains pour la branche paternelle et yéménites côté maternel. Ce sont ces racines qu’il a retrouvées à son retour en Israël au milieu des années 2000. Quant à sa culture personnelle, c’est le jazz, le blues, le gospel, la soul qu’il a découverts et auxquels il s’est frotté pendant plus de dix ans à New York. Son dernier album tire sa saveur particulière du mélange qui tient de l’alchimie entre ses racines et ses influences. Signe d’espoir pour la paix au Moyen Orient ? New Song (Plus loin/Abeille, 2014) fait entendre une musique pétrie d’influences orientales et plus spécialement arabes, écrite par un juif et interprétée par des juifs…

Sur scène, Avital se distingue par son charisme et ses airs de Pierrot lunaire perpétuellement souriant alors même que ses compositions ne le mettent pas particulièrement en valeur. On distingue dans son quintet deux soufflants très mordants : Avishai Cohen (trompette) et ses mélodies renversantes et Joel Frahm, sax ténor très engagé. Le jeu de Yonathan Avishai au piano est à la fois rythmique et mélodique. Quant à David Freedman (batterie), il a bien du mérite vu la variété des rythmes joués. Non seulement nos oreilles sont surprises par ses trouvailles orientalisantes, mais il trouve le moyen, sur « Tsfadina », d’y glisser des allusions à la salsa !

Omer Avital © Gérard Boisnel

Le titre de l’album, New Song pourrait laisser croire à une musique révolutionnaire. Ce n’est pas vraiment le cas. Néanmoins, ce jazz mâtiné de musique du monde a un charme fou. Avital vient confirmer l’existence d’un genre, d’un style américano-israélien. Et il y fait entrer le monde arabe. Ce maître de la mélodie et des rythmes, ce musicien subtil, n’a pas volé l’ovation debout que le public lui réserve.