Installé depuis plusieurs années au Texas, le bassiste norvégien Ingebrigt Håker Flaten (IHF) a une histoire particulière avec le COVID, puisqu’il a passé le premier confinement de mars 2020 à Trondheim, presque 15 ans après l’avoir quitté. De retour dans son pays, il a décidé d’y fonder le label Sonic Transmissions, qui met à l’honneur la bouillonnante et inclassable scène scandinave. L’occasion pour lui de fonder (exit) Knarr, un orchestre qui témoigne de la vivacité de cette scène improvisée, un orchestre changeant et réactif qui voit avec Breezy, son second album, des changements importants dans un line-up qui s’appuie toujours sur des certitudes : la présence incandescente de Mette Rasmussen au saxophone alto et une base rythmique solide autour de Flaten, même si Olaf Moses Olsen est désormais le seul batteur. Le piano d’Oscar Grönberg quant à lui est toujours là : il sert de colonne vertébrale au programmatique « Free The Jazz » où les soufflants bousculent le cadre dans l’électricité de la guitare de Jonathan Horne, seul Américain de l’orchestre.
IHF nous a souvent habitués à la puissance de l’électricité, ce que son label traduit d’ailleurs fort bien ; mais avec son octet, le contrebassiste va chercher l’énergie aux racines et son orchestre s’installe dans des couleurs qui auraient convenu à Don Cherry ou Ornette Coleman, notamment grâce au travail du trompettiste Erik Kimestad Pedersen, qu’on avait notamment entendu chez Jeppe Zeeberg. Ainsi « Breezy » est un amalgame subtil où la trompette dialogue à merveille avec la contrebasse de Flaten, toujours suivie de près par un piano anguleux. Toute l’énergie de la musique du bassiste semble concentrée ici, sans chercher à renverser la table : l’électricité est loin, et (exit) Knarr préfère de loin la force de frappe du saxophone de Rasmussen et de Karl Hjalmar Nyberg au ténor.
C’est dans l’exutoire « Ability » que Flaten s’exprime de manière totale. Le morceau ne semble pas avoir de répit, et Mette Rasmussen surfe sur un roulement continu de batterie et d’électricité. La musique d’IHF n’a pas de volonté destructrice, mais elle porte la tension à son comble, toujours sur une ligne de crête ascendante. Au cœur de son octet, Flaten sait s’effacer devant une énergie jouissive et pleine de surprise. Dédié à la trompettiste jaimie branch dont il était très proche, Breezy vole haut et n’a pas l’intention de mourir. Voici un bel hommage au jazz libre et toujours debout qui ne s’interdit pas un certain lyrisme par instants.