Chronique

Kami Octet

Spring Party

Label / Distribution : Neuklang / Harmonia Mundi

Tout change dans l’univers du guitariste Pascal Charrier. On s’en convainc lorsqu’on étudie les mutations de Kami, son orchestre dont il signe toutes les compositions et assume la direction. D’abord quintet destiné au mouvement, puis étendu à Jozef Dumoulin pour affirmer des couleurs, Kami nous revient octet et grandement chamboulé. Parmi les musiciens, seul subsiste Julien Soro à l’alto. Pour le reste, ce n’est que nouveauté, à commencer par le contrebassiste de Nautilis Frédéric B. Briet qui tient tout au long de Spring Party une place de choix, signe que son duo avec Charrier lui confère une dose d’intimité sensible dès « Mer  » où il tient la barre dans le vent et le remous. Il persiste un trombone également, pièce très importante dans la pâte orchestrale de Kami, mais c’est l’excellent Léo Pellet qui remplace Bastien Ballaz, son camarade de pupitre dans le Gil Evans Paris Workshop.

Rien ne change néanmoins dans le biotope du guitariste. On perçoit les mêmes influences pour le Kami, peu importe son nombre. Pêle-mêle, on y trouve Steve Coleman, Magic Malik, Stéphane Payen et côté guitare l’influence certaine de Frisell (« Le Passage des pensées  »). Sa fascination pour le M-Base, qu’il soit brassin originel ou mâtiné d’autres épices, est toujours centrale. Le cycle lancinant de « La Marche  », qui se sédimente parfois sur plusieurs couleurs, du free au rock sans pour autant s’accrocher à une esthétique, en témoigne. C’est aussi le cas avec l’instrument-voix de Christine Bertocchi, qu’on a pu souvent entendre avec Guillaume Orti. On pourra lui reprocher une trop grande théâtralité dans son chant, notamment lorsqu’elle énonce le contexte de l’album, celui de l’exil ; elle demeure une grande source d’étrangeté qui offre à Spring Party une aura particulière.

La musique de Pascal Charrier suggère ; elle est parfois métaphorique jusqu’à devenir allusive. Si l’on s’y penche attentivement, on perçoit dans ses changements continuels (de rythme, de teintes, d’instrumentarium) une volonté de s’affirmer radicalement universaliste. La narration de l’album est parfois morcelée, mais lorsqu’on comprend qu’elle s’inspire d’une marche sans but, elle prend sens. Human Spirals, en plus petite formation, offrait déjà un sentiment de rotation. Le nombre donne parfois le tournis et s’inspire de la force centrifuge. Spring Party est dense et vagabond, mais il reste parfaitement contrôlé par un leader méticuleux qui sait où il va. C’est la clé d’un album troublant et très personnel.

par Franpi Barriaux // Publié le 1er avril 2018
P.-S. :

Pascal Charrier (g), Christine Bertocchi (voc), Julien Soro (as), Léo Pellet (tb), Yann Lecollaire (bcl), Bruno Ruder (p), Frédéric B. Briet (b), Nicolas Pointard (dms)