Scènes

Petite Moutarde au Pannonica

Sur scène, la formation Petite Moutarde déploie tout ce qu’elle promet sur disque


Le 4 novembre dernier, la formation Petite Moutarde, conduite par Théo Ceccaldi, a joué une partition agrémentée d’un dispositif visuel.

Comment ne pas être immédiatement séduit par un chœur faussement juvénile claironnant dès l’entame du concert “dromadaire, dromadaire, dromadaire” ? Les musiciens sont dans la pénombre. Devant eux, sur une banderole, chacun de leurs visages animés est projeté sur une succession de petits fanions. Petite Moutarde tient à la fois de cette harangue préliminaire et de ce dispositif scénique : un petit théâtre drolatique où la poésie décalée se heurte à une énergie rougeoyante.

Yvan Gélugne, photo Michaël Parque

Dans la foulée de cette introduction, la banderole tombe, la lumière inonde la petite scène du Pannonica et le quartet s’élance dans un voyage où la scénographie sans être envahissante met la musique en valeur. L’humour a sa place : la banderole d’abord, évoquée à l’instant, un gros ballon gonflé que Florian Satche fait éclater à la surprise de tous, ou encore, en fond de plateau, la projection d’un film surréaliste en noir et blanc de René Clair : un corbillard suivi d’un cortège absurdement sautillant ou des spirales textuelles signées Picabia faites d’aphorismes délicieusement incompréhensibles, d’un dromadaire aussi (encore lui) qui passe par là. Pourtant l’œil rieur bien que sollicité ne prend jamais le dessus sur l’oreille et ne dérobe jamais l’écoute.

Car la musique mérite toutes les attentions. Savamment écrite par la plume de Théo Ceccaldi (à l’initiative de la formation), elle s’inscrit dans la veine des inspirations contemporaines : héritage assumé, dynamisme et envie d’en découdre. Les coups de théâtre surprennent l’auditeur tout au long du récit. Après une ouverture à bride abattue où le violoniste, la mèche folle lui dévorant le front, se fend d’un solo aussi virulent que définitif, les contrastes se font plus subtils, alternant instants de tension et d’expectative et moments plus exubérants et légers. Droite comme un i, pieds nus, l’air de revenir de la lune, Alexandra Grimal livre des prestations discrètes mais pertinentes jusqu’à prendre la parole un peu plus tard, avec un sopranino trempé dans le feu ou bien deux saxophones qu’elle enfiche en bouche. Elle complétera ensuite le tout par des ponctuations vocales d’une voix diaphane et surprenante.

Alexandra Grimal, photo Michaël Parque

Tous sont néanmoins concentrés sur la mise en place et les partitions, exigeantes mais généreuses, sont animées avec souplesse et sans heurt. La contrebasse d’Ivan Gélugne est la quille qui maintient cette embarcation à flot. Le musicien, derrière sa fine moustache, est l’écho des personnages anachroniques projetés à l’écran, ses attaques toujours décisives sur le manche, imposent une présence solide. Ce contrebassiste prend du coffre dans le paysage actuel et gagnerait à plus de reconnaissance. Derrière les fûts, Florian Satche, à l’écoute de Ceccaldi, étale un savoir-faire excitant ; déballant une palette de couleurs nerveuses, il peut également propulser le groupe par des rythmiques foisonnantes et toujours justes.

Ce qui interpelle tout du long, c’est l’audace volontariste avec laquelle ces quatre musiciens s’investissent dans le jeu. A l’aise avec leur époque, ils s’approprient leur présent avec gourmandise.