Scènes

Sons d’hiver en transe

Majid Bekkas Gnaoua Fusion à Paris


Majid Bekkas Gnaoua Fusion © Guillaume Petit

Pour inaugurer sa 36e édition, le festival Sons d’hiver proposait au Théâtre de la Cité Internationale à Paris une création tournée vers le Maroc avec Majid Bekkas et son projet Gnaoua Fusion, dans une soirée en deux parties.

Aly Keita, Majid Bekkas © Guillaume Petit

Le Gnaoua désigne un style musical très structuré et codifié, dans lequel la musique et les rituels auraient pour origine les cultes sahéliens réadaptés par les descendants des esclaves au Maroc. Par extension, le mot gnaoua - ou, au singulier, gnaoui - désigne les membres - principalement descendants d’esclaves - de confréries musulmanes mystiques d’Afrique subsaharienne (Ghana, Guinée), dans lesquelles la transe joue un rôle très important.
Voyage initiatique dans une première partie proposant un aperçu de la musique gnaoua telle qu’elle peut être jouée traditionnellement lors de rituels nocturnes appelés lila, qui mêlent la fête (koyyou) et l’action thérapeutique (mlouk).
Accompagné par Abderrahmane Bouhamidy, Azadine El Khalma, Abdelhak Kchimi et Othman Khalil aux karkabous (genre de castagnettes en fer que le musicien tient dans chaque main et entrechoque) et aux chœurs, Majid Bekkas, le mâalem (maître de cérémonie), au chant et au guembri (luth tambour à trois cordes dont la caisse de résonance est frappée en même temps que les cordes), fait vibrer l’assemblée avec le son profond de basse acoustique de son guembri et sa voix extatique reprise en chœur par les autres musiciens.

Abderrahmane Bouhamidy, Azadine El Khalma, Abdelhak Kchimi, Othman Khalil © Guillaume Petit

Le son très puissant et continu des castagnettes en fer allié à la répétition de questions/réponses entre le chant principal et les chœurs, l’aspect polyrythmique de la musique, les accélérations du tempo, tout cela favorise le processus de transe et confère à cette musique une puissance atypique. Les musiciens gnaoua sont considérés comme les intermédiaires entre le monde du réel peuplé d’humains et celui du surnaturel peuplé de génies appelés Djnoum.
Le public est tout de suite réceptif et c’est une ambiance de fête dans la salle et sur scène, les joueurs de karkabous effectuant des danses, tournant sur eux-mêmes, venant jouer autour de Majid Bekkas et près du public.

Seconde partie très attendue avec cette création pour le festival Sons d’hiver du projet Gnaoua Fusion. On retrouve en compagnie de Majid Bekkas des musiciens qu’il connaît bien comme le balafoniste malien Aly Keita et le batteur/percussionniste américain Hamid Drake, c’est par contre une première rencontre avec le saxophoniste français Émile Parisien.

Emile Parisien, Aly Keita, Hamid Drake, Majid Bekkas © Guillaume Petit

Majid Bekkas en maître de cérémonie pour une rencontre d’une qualité musicale remarquable avec des instrumentistes exceptionnels. Des climats qui vont du gnaoua au blues, un espace-temps ouvert où chacun déploie ses idées, de magnifiques introductions de morceaux, notamment un duo entre Majid Bekkas et Émile Parisien qui laisse place à un solo du saxophoniste, époustouflant par la beauté du son de son soprano et par la justesse de son propos, inspiré sans être démonstratif.
On est saisi par la fluidité et la virtuosité du jeu d’Aly Keita au balafon, instrument qu’il confectionne lui-même et dont il est un des grands représentants. Hamid Drake, tout en énergie positive et bienveillante, assure un drive discret et efficace alors que les joueurs de karkabous sont de nouveau présents sur scène, amenant l’intensité sonore à un niveau plus élevé.
Un moment de musique qui suspend le temps et des musiciens qui se sont bien trouvés, qui ont un véritable enthousiasme à jouer ensemble et à partager ce moment avec un public qui s’était déplacé en masse et qui en redemande.

Belle initiative pour cette création du festival Sons d’hiver autour de Majid Bekkas, qu’on allait retrouver quelques jours plus tard à l’affiche en trio accompagné par Ramón López à la batterie et Joachim Kühn au piano.