Scènes

Tampere Jazz Streaming

Expérience confinée de festival en ligne


Assister à un festival, les festivaliers le savent, c’est une petite aventure. Le voyage, les nuitées, les concerts, les rencontres, etc… tout concourt à rendre l’expérience marquante. Mais en période de confinement, le voyage du fauteuil à l’écran ne procure pas les mêmes souvenirs.

Timo Lassy en streaming

Le festival international finlandais Tampere Jazz Happening s’est tenu comme chaque année, mais l’édition 2020, du 29 octobre au 1er novembre, a été baptisée Made in Finland. En effet, le public et les musicien.ne.s finlandais.es étant quasiment les seuls à pouvoir se rendre physiquement sur place, les spectateur.trice.s et les journalistes pouvaient assister aux concerts en streaming. Soit.
L’attention n’est pas la même, ni la disponibilité, mais j’ai quand même pu repérer quelques bonnes choses et avec un bon son, pu profiter des musiques. Par contre, Made in Finland, ça veut aussi dire que tout est en finnois et les discours sur scène des musicien.ne.s sont en VO sans sous-titre. Dommage, on sent qu’on loupe des blagues…

Il faut noter le travail de réalisation. Une vidéo en 1080HD, un flux constant, plusieurs caméras et une régie qui prend des initiatives heureuses. Pas de plans incohérents sur les mains du pianiste pendant le solo de contrebasse, etc. Le service était rendu via une plateforme de streaming payante, avec un code d’accès qui était vendu 10€ au public. Un investissement nécessaire et minimum pour proposer quelque chose de sérieux à regarder et écouter.

Sans rentrer dans les détails de tous les concerts, on peut noter quelques moments agréables, comme :
Le concert de la pianiste Iro Haarla et son quartet. Son toucher est délicat, harmonieux et les échanges avec le son feutré du tutélaire saxophoniste (85 ans) Juhani Aaltonen se faisaient sans heurt, avec évidence.

Celui du batteur Reiska Laine qui comprend les deux saxophonistes Eero Koivistoinen et Juhani Aaltonen (encore). Les trois bonhommes embrassent toute l’histoire du jazz finlandais. Il a été question de Coltrane (que Laine a vu en concert à l’âge de 15 ans) et la musique proposée était à l’avenant : modale, ancrée dans la tradition du post-bop, sérieusement réalisée.

Le label Eclipse Music (dont le fondateur vient d’être récompensé par un prix) a produit le disque du guitariste et compositeur Tapio Ylinen, Mortality ; une sorte de requiem moderne dédié à sa femme décédée du cancer. Les musiciens ont arrangé les pièces pour leur instrumentation et l’éloge funèbre est réussi, tout en profonde nostalgie. Il faut dire qu’avec Aki Rissanen au piano et Verneri Pohjola à la trompette, tout se joue en douceur. L’ensemble est mesuré, à pas comptés, sage comme peut l’être le jazz finlandais dans son ensemble.

Le duo Teppo Mäkynen (batterie) et Timo Lassy (saxophone) était inventif et rythmique. Le saxophoniste, tout juste auréolé du Prix Yrjö du meilleur musicien de jazz de l’année en Finlande, présente sur scène ce duo qui vient d’enregistrer un disque du même nom. L’alchimie fonctionne et les musiciens se laissent énormément d’espace pour jouer, confinant parfois à l’interaction de deux soli.

La prestation du quartet de Timo Lassy, qui présente une musique à l’image de cette scène jazz finlandaise vivante mais relativement petite, très finlandaise mais ouverte sur l’Europe, ayant intégré les codes du jazz moderne américain.

Deux concerts en particulier ont retenu mon attention.
Le grand plaisir a été d’écouter le Joakim Berghäll Dark Roast 006. Un sextet étonnant, avec une batterie, une basse électrique et une guitare électrique pour accompagner trois saxophones barytons et/ou trois clarinettes basses.

Une musique écrite spécialement ces trois instrumentistes identiques, qui évite les embûches et le redondant et propose des moments lyriques comme des cavalcades rythmiques. Il faut dire que les musicien.ne.s du sextet ne s’en laissent pas conter : Joakim Berghäll, Linda Fredriksson et Max Zenger sont sur la même longueur d’onde. On a déjà relevé à plusieurs reprises l’immense talent de Linda Fredriksson, la découverte de Berghäll et Zenger fait de la Finlande une école de saxophonistes barytons de premier plan. Un groupe à suivre avec intérêt.

Le groupe all stars du contrebassiste et compositeur Antti Lötjönen Quintet East présente un concert parfait, avec une musique délicate, écrite et interprétée avec beaucoup d’émotion et de couleurs par des musiciens, compagnons de route (tout le monde joue plus ou moins avec tout le monde dans ce groupe) de divers projets. Aux saxophones, le fantastique Mikko Innanen au baryton (encore un de la fameuse école finlandaise !), au soprano, et dont les chorus d’alto sont à tomber à la renverse de délicatesse, côtoie le ténor charpenté Jussi Kannaste. À la trompette, l’international Verneri Pohjola. Les trois soufflants sont d’une complémentarité parfaite, créant des accords de toute beauté, révélant le leader comme un compositeur inspiré. La contrebasse solide de l’incontournable Lötjönen est secondée par la batterie de Joonas Riippa pour soutenir toutes les envolées cuivrées. Antti Lötjönen joue avec un style très classique, percutant, sec, propre. Chaque note compte et s’entend. Il a la rondeur détendue et affirmée du savoir-faire.
Un concert percutant, à l’image du disque.

Par contre, j’ai décroché sur deux concerts, ennuyeux. Le duo Verneri Pohjola (trompette) & Tuomo Prättälä (claviers, électronique) un peu bancal, avec des grandes longueurs, des bricolages peu élégants. Beaucoup de déjà-vu, peu de surprise et une absence de fond dans le discours. Dommage, même si le trompettiste est toujours alerte et inventif, ce n’est pas un contexte qui le met en valeur. Et le set indigeste de Jukka Gustavson Prognosis.