Chronique

Barry Guy - London Jazz Composers Orchestra

Harmos - Kraków

Label / Distribution : Maya Recordings

Harmos, hymne de quarante-trois minutes, fut enregistré par Peter Pfister les 4 et 5 avril 1989 au Radio Studio DRS de Zurich pour être ensuite édité en CD par Intakt. Barry Guy imposait alors un style identifiable, ce qui, pour une grande formation, n’était pas une évidence. Le London Jazz Composers’ Orchestra allait bientôt souffler ses vingt bougies et comptait en son sein la fine fleur du jazz libre britannique : Howard Riley, Evan Parker, Marc Charig, Paul Rutherford pour n’en citer qu’une poignée. Cette pièce musicale d’ampleur fut réinterprétée par la suite dans quelques festivals mais il devint difficile et coûteux de faire tourner ce grand orchestre malgré le support du British Council.

Au Manggha Hall de Cracovie le 8 mars 2020, une nouvelle équipe européenne réinterprétait cette composition, d’où le titre Harmos - Kraków. La trame musicale est respectée mais la masse orchestrale hérite de nouvelles couleurs. Seuls subsistent de l’enregistrement original Barry Guy, Simon Picard, Alan Tomlinson, Henry Lowther et Phil Wachsmann . Ils sont ici entourés par de nouveaux noms. Une certitude s’impose : ces nouvelles contributions ne font qu’accentuer le dynamisme de la composition originale. Les improvisations y prennent d’autres tournures et témoignent des fortes personnalités qui entourent Barry Guy.

Les déflagrations des trombones précèdent la sublime mélodie qui s’installe aux alentours des deux minutes. Harmos devient synonyme d’une harmonie céleste qui converge vers un monde meilleur. Un contraste saisissant s’opère autour de la onzième minute et suspend la musique, alors que rapidement une séquence bavaroise va bouleverser les codes musicaux. L’identité stylistique de l’orchestre est revigorée avec les envolées remarquables de la section rythmique composée de Bruno Chevillon et Lucas Niggli. Aux environs de vingt-huit minutes, le lyrisme d’Agustí Fernández s’épanche, tour à tour aérien et pourvoyeur de syncopes extatiques. Le pianiste anticipe le vent de liberté collective qui déferle bientôt, alors que la mélodie entêtante ressurgit peu avant le final émouvant.

La qualité artistique des instrumentistes demeure stupéfiante. Torben Snekkestad perpétue l’esprit d’Evan Parker tout en régénérant la conception du souffle continu au saxophone, le tuba de Marc Unternährer épouse les sinuosités de l’écriture avec finesse. Tous ces interprètes transfigurent l’œuvre originale en lui apportant une plasticité inédite. Les pulsations fluctuantes qui déferlent dans Harmos - Kraków font du London Jazz Composers Orchestra le digne héritier des orchestres de Duke Ellington, Charles Mingus et Michael Mantler - la modernité n’étant alors rien d’autre que l’anticipation des lendemains.

par Mario Borroni // Publié le 14 septembre 2025
P.-S. :

Barry Guy (b, lead), Agustí Fernández (p), Michael Niesemann (as), Jürg Wickihalder (as), Torben Snekkestad (ts, ss), Simon Picard (ts), Julius Gabriel (bs), Konrad Bauer (tb), Andreas Tschopp (tb), Alan Tomlinson (tb), Henry Lowther (tp), Martin Eberle (tp), Rich Laughlin (tp), Marc Unternährer (tu), Phil Wachsmann (vln), Bruno Chevillon (b), Lucas Niggli (d, perc)